Interview de Willy Schüpbach, né le 26 juin 1920, réalisée à son domicile le samedi 5 février 2011

Loyse Renaud Hunziker (LR) : Dans cette interview, nous allons évoquer l’enfance et la formation de Willy Schüpbach, puis son engagement syndical et politique, les points forts de son action et quelques événements marquants.

Pour commencer, dis-nous quelques mots de ta famille, de ton enfance et de ton adolescence.

 

Willy Schüpbach (WS) : Je suis né à La Chaux-de-Fonds, d’où Blaise Cendrars s’en est allé, et j’ai habité les maisons communales de la rue Philippe-Henri-Matthey. Mon père y avait poussé la brouette  communale en qualité de chômeur à l’époque, et c’est là que j’ai tiré  mon premier petit char. Mes parents étaient tous les deux socialistes, syndicalistes, coopérateurs et amis de la nature. Mes plus lointains souvenirs sont ceux qui remontent aux Amis de la Nature. Tous les week-ends, nous étions dans une loge à La Charbonnière au-dessus de La Sagne, mon père me prenait sur ses épaules et nous montions au pied du Mont Racine. A cette époque-là, le conducteur du Pont-Sagne qui nous menait jusqu’à la Sagne Eglise priait le samedi après-midi les hommes valides de descendre au pied du Reymond et de monter à pied jusqu’au plat de la Sagne, parce qu’il y avait beaucoup trop de monde. Moi, je ne l’ai jamais fait, j’avais deux ou trois ans. Plus tard, et mes souvenirs sont plus précis, les Amis de la Nature ont construit un magnifique chalet au Pré-Devant en dessus de la ferme de la Chenille. Mais ils n’ont pas pris toutes les précautions nécessaires et l’ont construit sur terrain d’autrui ! Comme il y venait beaucoup de Chaux-de-Fonniers qui n’étaient pas les amis politiques du propriétaire du terrain, ce dernier, au bout d’un certain temps, a mis les Amis de la Nature à la porte. Ils ont à peu près tout perdu de leurs investissements au Pré-Devant et ils sont allés à La Serment. C’était une ancienne loge, à un quart d’heure de l’Hôtel de Tête-de-Ran, en direction des Hauts-Geneveys, et c’est là que j’ai passé à peu près tous mes week-ends jusqu’à l’âge de 10 ans, en 1930. Voilà pour les souvenirs les plus lointains de ma jeunesse. Bien entendu, il y a aussi l’enterrement de Charles Naine en décembre 1926. J’avais commencé l’école à la Citadelle 6 mois auparavant. Je suis descendu un samedi matin entre Noël et Nouvel An sur la Place du Marché avec mon père, et c’est là que nous avons appris la mort de Charles Naine. C’était la première fois que je voyais mon père pleurer. J’ai assisté ensuite en spectateur au cortège funèbre. J’étais chez ma grand-mère à la rue de la Charrière 28, et depuis les escaliers nous avons regardé passer le cortège. Je pense que c’est le plus long que j’aie vu, quand bien même durant ma carrière j’ai fréquenté beaucoup de cortèges syndicaux ou socialistes. Voilà les principaux souvenirs de mes 10 premières années. La suite, ce sont les Avant-Coureurs. Je suis entré aux Avant-Coureurs socialistes en 1930 et, à part l’école dont je devais me soucier un tout petit peu, ce sont les Avant-Coureurs qui m’ont préoccupé  de 1930 à 1938. Nous avons eu plusieurs chalets, d’abord au Valanvron, une vieille loge qui avait été transformée pour qu’on puisse y loger et ensuite aux Bulles 47. Je crois que cette maison s’appelait la Haute Maison, et depuis là on voyait très bien La Ferrière et les Côtes du Doubs. On a fait un tas d’excursions : Tête-de-Ran toujours, mais aussi le lac du Cul des Prés et Biaufond. C’est de là que je connais les Côtes du Doubs. Et voilà pour les Avant-Coureurs. C’était les années de chômage. Je pense que la région horlogère a passé le plus triste moment de son histoire. Jusqu’à la dévaluation du franc suisse en 1936, La Chaux-de-Fonds a particulièrement souffert. Il n’y avait d’indemnités de chômage que pendant 6 mois sur 3 ans et le reste c’était des secours de crise de 4 francs par jour pour les célibataires et de 6 francs pour les couples. Aussi, aux Avant-Coureurs, on savait ce que c’était d’économiser et peut-être cette notion d’économie et de solidarité nous est-elle restée en tête pendant toute notre vie.

LR : Tu nous parles beaucoup des Avant-Coureurs et des Amis de la Nature, mais l’école ?

WS : L’école, elle venait tout de suite après ! J’ai passé trois ans à la Citadelle, 4 ans à la Charrière, une année au Gymnase, puis 4 ans à l’Ecole de commerce. Pendant les années d’école primaire, je n’ai jamais eu la moindre difficulté, et j’aimais l’école. Les difficultés se sont présentées par la suite, mais je suis quand même sorti de l’Ecole de commerce à 18 ans  avec un diplôme. J’aurais pu en faire plus à l’école, mais les Avant-Coureurs comptaient davantage. D’ailleurs, ils ont autant contribué à ma vie future que l’école. L’Ecole de commerce a été une excellente formation qui m’a servi toute ma vie. Je peux même encore sténographier maintenant, alors que c’est devenu inutile. Voilà pour l’école, je ne suis pas entré dans beaucoup de détails.

LR : Et quels ont été les débuts de ton activité professionnelle ?

WS : Les débuts ont été difficiles. Je suis sorti de l’Ecole de commerce à Pâques et je n’ai pas eu de travail fixe. Impossible de trouver une place. J’ai pu travailler un petit peu chez un oncle qui était marchand tailleur, c’était un Tchécoslovaque qui m’a raconté sa vie pendant les heures où je travaillais chez lui. J’ai pu lui installer une comptabilité, je faisais la correspondance, ce qui me passait agréablement le temps. J’espérais toujours aller comme volontaire à Bâle à l’Union suisse des coopératives de consommation. Ma maman connaissait bien Maurice Maire qui en était un des directeurs et qui avait été Conseiller communal socialiste dans la première municipalité socialiste de la Chaux-de-Fonds de 1912 à 1915. Elle lui a écrit pour me recommander, mais ils ne prenaient plus de volontaires. Finalement, c’est mon oncle Paul Graber qui en discutant avec Gottlieb Duttweiler a trouvé pour moi une place de volontaire à la Migros à la Limmatplatz à Zurich. Cela n’a pas enthousiasmé mes parents, mais j’ai passé 4 ans au secrétariat de Duttweiler, puis à la Migros, et je pense avoir correctement appris le Schriftdeutsch. Mes « nouveaux parents » de Zurich étaient des camarades du parti, la mère était de Berlin, et elle parlait mieux le Schriftdeutsch que les Zurichois. Et au boulot tous les employés ont fait un très gros effort pour ne pas utiliser le Züridütsch avec moi. Voilà mes débuts.

LR : Quand et pourquoi es-tu entré au parti ?

WS : Je suis entré à la section socialiste romande de Zurich en février 1942. J’avais lu la Sentinelle depuis ma plus tendre enfance. Je me souviens qu’il y avait tous les mercredis le coin des gosses, c’était mon point d’accrochage.  Dès que j’ai su lire, j’ai été « biberonné » avec la Sentinelle ! Je ne pouvais pas faire autrement que d’entrer au parti !

LR : Mais là tu parles de 1942, c’était la guerre, donc tu as été mobilisé. As-tu fait une école de recrues ?

WS : Hélas oui ! J’ai passé la réforme en 1938 ou 1939 à Zurich et j’ai un livret militaire qui est signé par un colonel qui était le fils du général Wille de la guerre précédente et de triste mémoire. Je suis entré à l’école de recrues le 2 janvier 1940, j’en ai fait 108 jours, et j’ai dû refaire une seconde école de 32 jours parce que j’avais été  malade. J’ai goûté aux établissements sanitaires militaires de Clarens, à l’établissement sanitaire de Glion pour la remise en forme et j’ai été lâché  en été 1940  au moment où les Allemands entraient à Paris. C’était mon cadeau de 20ème anniversaire. J’ai refait après mon école de recrues, péniblement parce que reprendre une école de recrues en cours alors que les autres étaient préparés, entraînés et que je sortais d’un mois d’assurance militaire, ça a été pénible. Ensuite j’ai été mobilisé, j’ai passé trois mois à Saint-Blaise sans voir Neuchâtel. On avait l’interdiction d’y aller, ce qui paraît aujourd’hui une idiotie, ça nous paraissait déjà une idiotie à l’époque, mais on n’osait pas le dire. Ensuite, j’ai été dans l’infanterie de montagne, j’ai fait le Simmental un peu dans tous les sens. On a appris à être dans des marécages jour et nuit, c’était quelque chose d’épouvantable dont je conserve aussi un souvenir épouvantable.

LR : Et puis tu es revenu à La Chaux-de-Fonds.

WS : Je suis revenu à La Chaux-de-Fonds en 1942, à la suite d’un événement que je considère comme heureux. Venant en visite un week-end à La Chaux-de-Fonds, j’ai rencontré Renée Matthey en sortant de la gare. Nous avons éprouvé le besoin de nous revoir, et dans ces circonstances je ne tenais plus beaucoup à Zurich. J’ai dit tout à l’heure que c’était grâce à mon oncle Paul Graber que j’avais pu entrer à la Migros, Duttweiler voulant faire plaisir aux socialistes au moment où il cherchait à s’installer en Suisse romande. Précisément en 1942, Duttweiler, que je n’avais plus revu depuis mon engagement, m’a fait venir à son bureau pour me faire lire un article écrit par Paul Graber dans la Sentinelle, où il s’attaquait à la Migros. Duttweiler m’a demandé ce que j’en pensais. J’ai répondu que mon oncle ne me consultait pas avant d’écrire ses articles, de sorte que je n’avais rien à  en dire. « Mais est-ce que vous approuvez ou vous n’approuvez pas ? » « Je n’ai pas à approuver ou à désapprouver mon oncle qui écrit un article dans un journal dont il est le rédacteur en chef ! » Duttweiler était très pressé comme toujours, et il m’a dit : « On reverra tout ça ! » J’ai répondu: « Non Monsieur, je crois que dans ces circonstances il vous faut prendre note de mon départ ! » J’ai confirmé ma décision de quitter la Migros  et de rentrer à La Chaux-de-Fonds, sans avoir la moindre perspective d’un travail. C’était l’automne 1942, pas un moment favorable pour trouver quelque chose d’intéressant. J’ai été engagé dans une industrie nouvelle à La Chaux-de-Fonds, qui était située dans l’Usine électrique. à l’ouest, juste sous Cernil-Antoine. Il n’y avait pas beaucoup de travail  et je n’y suis pas resté longtemps, parce que je n’aime pas ne rien avoir à faire. J’ai trouvé une place de surnuméraire à la commune, et j’ai  travaillé au ravitaillement à la rue Jaquet-Droz, à côté de la Halle aux enchères. J’ai été nommé fonctionnaire à la suite d’examens passés à l’Ecole de commerce sous la présidence d’André Sandoz, qui était le fils d’un de mes anciens professeurs. Il fallait 5 fonctionnaires, et je suis sorti en tête. Au bout d’un moment, le service de ravitaillement disparaissant petit à petit, j’ai été transféré aux impôts à l’Hôtel communal, un travail détestable au possible, répétitif. Quand je regardais ma montre le matin, je croyais qu’il était 11 heures et demie et il n’était que 9 heures. Je ne pouvais pas rester là ! J’ai cherché un autre emploi.  Lors d’un enterrement d’un membre de ma famille à Bôle, où les 4 cousins avaient été désignés pour porter le cercueil d’un oncle, j’ai retrouvé un cousin de Zurich qui m’a demandé si je ne voulais pas revenir à Zurich, car il cherchait un adjoint. Il était secrétaire général de la Fédération des ouvriers du textile. Mon oncle Paul Graber, toujours lui, m’a pour sa part proposé un emploi au secrétariat de la Sentinelle à La Chaux-de-Fonds. J’ai été indécis pendant un certain temps et, contrairement à ce que d’aucuns pourraient penser, j’ai choisi d’aller au syndicat et je suis reparti à Zurich. Entre temps, je m’étais marié, en 1945, et nous avions déjà un fils né en 1947, l’année où je suis retourné Zurich. Je suis d’abord parti seul, et j’ai pris une chambre pendant quelques mois. J’ai retrouvé mes copains membres de la section romande de Zurich et j’en suis devenu président assez vite.   Ma femme et mon fils m’ont rejoint en 1948. La fédération avait fait le nécessaire pour que j’obtienne un appartement dans une coopérative d’habitation qui venait de se construire. J’ai travaillé dans ce syndicat, j’étais le seul avec mon cousin à savoir le français et j’avais bien entendu pour mission de faire la liaison avec la Suisse romande. Je m’occupais de la correspondance et je participais aussi à la rédaction de la partie française du journal. Mon cousin a quitté la fédération, et  je suis devenu secrétaire adjoint, le seul qui savait le français dans le secrétariat central. Mon fils arrivait à l’âge d’entrer à l’école, et je pouvais difficilement admettre qu’il commence l’école à Zurich. J’ai proposé à la fédération d’ouvrir un secrétariat à Neuchâtel, ce qui a été accepté. J’ai créé un petit journal qui s’appelait « l’Ouvrier de l’industrie » et j’ai travaillé avec l’imprimerie coopérative de La Chaux-de-Fonds. Le typographe qui s’en occupait était Charles Donzé, le frère de Fernand Donzé, le directeur de la bibliothèque. J’ai beaucoup apprécié cette époque-là. Peu après mon déménagement à Neuchâtel, je me suis retrouvé dans le quartier où celle qui m’interviewe habitait, et mon amie Loyse fréquentait le même collège à Vauseyon que mon fils.

LR : Mais on ne se connaissait pas à l’époque.

WS : C’est vrai, on ne se connaissait pas, fort heureusement on s’est connu plus tard.

LR : En 1954, si j’ai bien noté, tu quittes ce syndicat-là pour entrer au secrétariat romand de la VPOD où tu vas passer une quinzaine d’années.

WS : Peu après l’ouverture du bureau de Neuchâtel de la Fédération des ouvriers du textile, j’ai été sollicité par le secrétariat romand de la VPOD, syndicat auquel j’avais adhéré en 1942, comme au parti. Je n’ai pas pu répondre favorablement,  parce qu’on venait d’installer mon secrétariat  de la FOTF à Neuchâtel et je trouvais peu correct de démissionner si peu de temps après. Celui qui a été engagé à ce moment à Lausanne a été mis à la porte deux ou trois ans plus tard. Cette fois, quand la place a été mise au concours, j’ai postulé et c’est ainsi qu’en 1954 je suis entré au secrétariat de ma fédération. En effet, je considérais la VPOD comme ma fédération. Aujourd’hui elle s’appelle le SSP, mais j’ai toujours eu de la peine à me faire à l’abréviation française.

LR : Et en quoi consistait ta mission pour la VPOD ?

WS : Ma mission était multiple. Tout d’abord, il fallait renouer les contacts avec les sections que mon prédécesseur avait un peu délaissées. Ensuite il fallait s’occuper de la propagande, de la création de nouvelles sections, de la correspondance avec les employeurs, qui étaient pour la plupart des autorités communales ou cantonales ou bien des entreprises privées comme les entreprises d’électricité par exemple. Je voudrais ouvrir une parenthèse pour parler de Bulle. Le syndic était un médecin qui n’acceptait pas de parler avec la VPOD. Quand un employeur refuse de discuter avec le syndicat, ou bien on trouve un moyen, ou on baisse les bras… J’ai donc proposé à la section de prendre un rendez-vous et d’entamer le dialogue comme malade. Un lundi matin, me voilà à la salle d’attente. Le médecin m’accueille et me demande : « Monsieur Schüpbach, de quoi souffrez-vous ? » « Je ne sais pas si je dois vous dire Monsieur le docteur ou Monsieur le syndic, mais je souffre de l’absence de discussions entre le Conseil municipal et la VPOD ! » Il m’a répondu: « Alors vous, vous m’avez bien eu ! » Depuis lors, j’ai entretenu les meilleures relations possibles avec le syndic de Bulle. Il avait fait un stage à l’hôpital communal de La Chaux-de-Fonds. Quand je lui ai dit que j’étais  chaux-de-fonnier, c’est tout juste s’il ne m’est pas tombé dans les bras, parce qu’il en avait  conservé un excellent souvenir.

LR : Quels ont été tes rapports avec le canton de Neuchâtel dans ton activité à la VPOD ?

WS : Il m’a fallu attendre longtemps pour avoir des rapports avec le canton en tant qu’Etat et avec certaines communes comme La Chaux-de-Fonds et Le Locle, parce que c’était le rayon de mon collègue Deppen, et on n’avait pas de raison de changer. Mais quand il a quitté la VPOD pour devenir municipal à Lausanne, j’ai dû prendre la responsabilité de toute la Suisse romande, ce qui représentait une cinquantaine de sections. A l’Etat de Neuchâtel, j’ai entamé des négociations pour les cantonniers, qui étaient très bien syndiqués et qui avaient un chef de département très compréhensif. Je le connaissais, car il avait été l’un de mes officiers pendant la Mob, et le contact était facile. Il a été beaucoup plus difficile avec le département des finances qui était dirigé par un socialiste. Ça m’écorche un peu la bouche de dire ça, mais il faut le dire ! J’avais fait la même expérience dans le canton de Vaud, où les communes socialistes n’étaient pas les premières à admettre la discussion avec le syndicat. On a pu discuter, mais pas toujours sereinement.

LR : Tu as négocié à de nombreux endroits de Suisse romande des règlements et des statuts de personnel. Est-ce que tu as pu faire passer tes convictions socialistes et syndicalistes dans ces négociations, ou bien est-ce que c’était vraiment difficile ?

WS : Ca dépendait des endroits. C’est peut-être à La Chaux-de-Fonds que cela a été le plus facile. Il y a eu trois communes exemplaires dans les conditions de travail en Suisse romande, et on les citait constamment. C’était Delémont dans le Jura bernois, qui à l’époque était dirigée par une municipalité socialiste, c’était La Chaux-de-Fonds et puis Lausanne, qui avait un statut du personnel depuis l’arrivée de la majorité socialiste. Dans d’autres sections, cela a été plus ou moins facile, et parfois impossible. C’était facile quand on avait un ou deux municipaux ou Conseillers communaux qui étaient favorables au syndicat, qui étaient peut-être eux-mêmes syndiqués et qui avaient une certaine emprise sur leurs collègues pour recevoir le syndicat. Je prends comme exemple Aubonne, qui se vantait à l’époque de n’avoir aucun radical au sein de la municipalité. C’était une municipalité composée de libéraux, de paysans et d’un socialiste. C’est moi qui ai syndiqué le personnel. On a créé une section et ensuite il fallait demander à la municipalité une entrevue pour discuter. Je me suis adressé au syndic, par lettre évidemment, et il m’a répondu : « Nous n’avons pas l’habitude à Aubonne de discuter avec des gens que nous ne connaissons pas. Nous vous faisons donc une proposition : nous consacrons une soirée, toute la  municipalité et vous, sans délégation de personnel, à manger et à discuter ensemble. Et puis après on verra si on discute avec vous concernant le personnel ! » Ca s’est très bien déroulé, c’était une méthode originale pour entrer en discussion. Manger ensemble, ce n’est pas une mauvaise idée ! Ensuite la municipalité a délégué Pierre Aubert, devenu plus tard Conseiller d’Etat vaudois, pour toutes les questions touchant le personnel. Une commune où ça s’est bien passé, c’était La Chaux-de-Fonds avec André Sandoz comme président de commune. Toutes les propositions du syndicat ont été examinées, la plupart acceptées et quelques-unes ont fait l’objet d’un compromis. Le syndicat a pu dire en sortant de la négociation avec la commune qu’il ne restait aucune proposition qui n’avait pas fait l’objet d’une discussion. Nous avons obtenu, sauf erreur en 1961, un statut du personnel qui était un modèle du genre, notamment sur la question des droits et des devoirs du personnel. Ça me paraît aussi important que la question des salaires, même s’il faut bien sûr que les salaires soient adaptés aux circonstances.

LR : Si mes souvenirs sont bons, c’était un statut qui prévoyait l’égalité des hommes et des femmes.

WS : Il y a eu deux égalités admises, d’abord  l’égalité entre hommes, c’est-à-dire celle des employés de bureau avec les ouvriers comme on les appelait à l’époque. En effet, les ouvriers étaient classés  plus bas que les employés de bureau, alors qu’ils avaient fait comme eux un apprentissage de 4 ans. La VPOD luttait pour que le temps de formation soit déterminant, ce qui a été reconnu dans le statut. Et il y a eu l’autre égalité, celle entre les femmes et les hommes. C’était quelque chose que l’on pouvait présenter ailleurs, car on avait beaucoup de municipalités où les ouvriers n’étaient pas au niveau des employés. En plus de l’égalité de salaire et de droit, ce qui a été admis, je dis par André Sandoz en abrégé, et qui était tout à fait exceptionnel, c’est qu’en cas de difficultés entre le Conseil communal et un fonctionnaire, par exemple à la suite d’un licenciement, ce dernier pouvait recourir à une commission mixte présidée par un juge du Tribunal de La Chaux-de-Fonds. Alors que le règlement du personnel avait été transmis aux Conseillers généraux de  La Chaux-de-Fonds mais pas encore voté, il s’est présenté un cas de licenciement d’un ingénieur des Services industriels, et le Conseil communal a fait preuve d’une compréhension vraiment unique, grâce à André Sandoz encore une fois. Il a admis que pour ce licenciement on applique le nouvel article du règlement, avant son acceptation par le Conseil général. L’ingénieur qui avait été licencié a pu réintégrer, non pas les Services industriels, mais la commune de La Chaux-de-Fonds et il est devenu le directeur du nouvel hôpital, dont il a dirigé la construction. Il faut aussi rendre hommage à la compréhension d’un autre Conseiller communal qui est devenu son patron, Gérald Petithuguenin, je serais injuste de ne pas citer son nom.

LR : Tu as fini par quitter la VPOD en 1969 et tu es devenu le secrétaire de la société vaudoise de médecine. Peux-tu nous expliquer comment s’est passé ce changement d’orientation ?

WS : J’ai été malade pendant deux ou trois mois. J’aurais pu  reprendre mon activité, mais pas dans les mêmes conditions. Il fallait sacrifier trop de soirées et de week-ends. En plus de la maladie, il y avait quelques dissensions avec les patrons de la VPOD de Suisse alémanique. Sans connaître le français, ils savaient toujours mieux comment on devait faire en Suisse romande pour répondre à l’attente des membres du syndicat. Déjà du temps de Robert Deppen, cela nous énervait parce que c’était quand même nous qui savions le mieux ce qui convenait à nos membres ! Ces deux éléments m’ont poussé à chercher autre chose. Un ami chaux-de-fonnier, Maurice Thiébaud, qui avait été nommé en même temps que moi à la commune de La Chaux-de-Fonds et qui travaillait alors  dans le canton de Vaud dans le domaine de la santé publique, connaissait le secrétaire juriste de la Société vaudoise de médecine. Il m’a mis en contact avec cette société, et j’ai fini par entrer comme secrétaire général chez les médecins. Il s’était passé d’abord une petite révolution, sous la forme d’une modification de la structure de la société. Les médecins s’étaient rendu compte qu’il ne leur fallait pas un juriste, car ils avaient suffisamment d’universitaires, mais quelqu’un qui sache défendre leurs revendications, soit une sorte de secrétaire syndical ! J’ai été élu à l’unanimité par l’assemblée des médecins.

 LR : Est-ce que c’était très différent comme travail ?

WS : C’était le travail d’un secrétaire syndical à quelques nuances près. Je dois dire que ce qui manquait chez les médecins, ce qui manque encore chez eux, c’est la solidarité. C’était une notion tout à fait nouvelle pour eux, qui ont l’habitude de travailler tout seuls dans un cabinet. Chaque médecin croit qu’il est le meilleur, celui qui soigne le mieux, celui qui travaille le mieux. De l’avis du comité,  il fallait essayer de leur inculquer la notion de solidarité, indispensable pour arriver à faire passer leurs revendications. Donc le travail a été le même : il s’agissait de faire passer dans une convention les désirs des médecins, en discutant avec les représentants des caisses maladie. Je crois que nous avons toujours pu discuter sainement en commission paritaire avec les caisses maladie, ce qui ne signifie pas qu’elle ont toujours accepté nos propositions, et nous n’avons pas toujours admis les leurs. Quand on peut discuter sainement, on a fait un bon bout de chemin. Je me rappelle qu’en 1937 les premières conventions collectives suisses qui ont été signées se sont appelées « Conventions pour la paix du travail ». Cela m’avait frappé alors que je n’avais que 16 ou 17 ans, et depuis cette époque j’ai toujours été un partisan de la discussion avant la grève. Je pense que c’est nécessaire de le dire. Aujourd’hui, on ne parle que d’arrêt de travail, une notion qui nous vient plutôt de France. On parle d’arrêter le travail, on parle de faire la grève, alors que l’on n’a peut-être pas épuisé toutes les possibilités de discussion. Voilà, je suis un syndicaliste à l’ancienne mode ! Pour en revenir à mon activité au service des médecins, je m’occupais des rapports avec les membres, de l’encaissement des cotisations, des conventions avec les caisses maladie. Un travail particulièrement difficile a été celui de conclure des conventions d’hospitalisation dans le canton de Vaud, non seulement avec les médecins et les caisses maladie, mais avec les hôpitaux et les établissements médico-sociaux. C’étaient des conventions quadripartites, et il fallait arriver à ce que ces quatre groupements admettent que ce qui avait été discuté leur convenait, qu’ils pouvaient le faire passer devant leurs membres, pour que les conventions soient signées. Il y a eu des discussions interminables, mais les conventions d’hospitalisation ont été signées par tout le monde. Quand on peut se réclamer des signatures de tous ceux qui participent au domaine de la santé, on a davantage de possibilités de répondre aux mécontents.

LR : En 1985, tu as pris ta retraite officielle, mais tu as continué à militer au parti, et à ce propos j’aurais une question : pourquoi n’as-tu jamais eu de mandat électif ?

WS : Dans le canton de Vaud, je n’ai jamais été candidat, et je pense que si j’étais resté à la VPOD jusqu’au bout, je n’aurais jamais été candidat parce que je pense que si le secrétaire syndical veut faire convenablement son travail, il ne peut pas en dehors avoir un mandat politique. Ou alors, il faut qu’il y ait une entente entre divers secrétaires syndicaux, comme je m’entendais avec Deppen, qui a été longtemps député au Grand Conseil. Il défendait les intérêts de la VPOD au Grand Conseil et on en avait besoin à cette époque-là. Moi, j’avais peut-être un peu plus de sections que lui, et nous nous sommes toujours entendus pour nous répartir le travail. Les Zurichois auraient voulu savoir comment on se partageait le travail, ils ne l’ont jamais su. On leur répondait que l’essentiel était que le travail soit fait. J’ai été président de l’Union syndicale vaudoise pendant un certain nombre d’années, ce qui ne m’a pas simplifié la tâche, mais je crois que c’était beaucoup plus important que je préside l’Union syndicale vaudoise, plutôt que j’aille soit au Conseil communal, qui correspond au Conseil général du canton de Neuchâtel, soit au Grand Conseil. Il y en a assez qui vont au Grand Conseil ou au Conseil général, mais il y en a peu qui prennent la présidence d’une Union syndicale cantonale.

LR : La grande occupation de ta retraite a été la rédaction de ton livre sur ton oncle Ernest-Paul Graber. Est-ce que tu peux nous dire quel a été le point de départ de ce livre et ce qui t’a poussé à l’écrire ?

WS : Quelques années auparavant, je n’aurais jamais pensé à écrire ce livre. Il faut en chercher l’origine dans le déménagement de Pierre Graber. A Savigny où il habitait, il avait connu un hiver « chaux-de-fonnier ». Il ne pouvait plus sortir de sa maison, plus une voiture ne pouvait le relier au village. Il a donc pris la décision de déménager à Lausanne. Comme nous entretenions d’excellentes relations – je signale en passant qu’il m’avait beaucoup aidé dans mon boulot de syndicaliste lorsqu’il était au Conseil d’Etat – il m’a proposé de me donner tous les tableaux de son père, sachant que je l’adorais. Les tableaux étaient à la cave ! J’ai accepté sans hésiter, sans même les voir. Il m’a dit que je pouvais en faire ce que je voulais. J’ai ramassé tous les tableaux. Quelques-uns sont désormais accrochés chez moi. Pour les autres, je suis allé trouver Mme Musy, conservatrice du Musée d’Histoire, et je lui ai demandé s’ils l’intéressaient. Elle m’a répondu: « Oui, bien sûr, mais pouvez-vous me dire qui était Paul Graber ? ». Je le lui ai expliqué, et j’ai ajouté: « Si vous prenez les tableaux, je vous écris quelques notes, deux ou trois pages de biographie sur Paul Graber. » Et puis j’ai rencontré Fernand Donzé, l’ancien directeur de la Bibliothèque, et on en a parlé. Je me demandais si on ne pourrait pas mettre les tableaux plutôt à la Bibliothèque. Fernand m’a offert d’aller discuter avec la conservatrice du Musée d’Histoire, le conservateur du Musée des Beaux-Arts et le directeur de la Bibliothèque, pour envisager la meilleure solution.  Au final, le Musée des Beaux-Arts n’en voulait pas, le Musée d’Histoire était prêt à les accepter et la Bibliothèque aussi, à condition qu’il y ait quelque chose d’écrit qui les accompagne. Moi, je préférais qu’ils soient à la Bibliothèque. J’ai donc décidé d’écrire quelques pages et c’est parti comme ça. Le gros boulot avant d’écrire quoi que ce soit, ça a été de consulter La Sentinelle, depuis la nuit des temps jusqu’à sa fin.

LR : Puis il t’a aussi fallu te mettre à l’ordinateur ?

WS : Je m’y étais mis avant ! A la Société vaudoise de médecine, il y avait un ordinateur auquel je ne comprenais rien du tout. Quand j’ai pris ma retraite, mon fils aîné m’a dit : « Tu ne peux pas continuer d’écrire sur une machine à écrire, il te faut un ordi. » C’est lui qui m’a initié à l’ordinateur. Sans ordi, je n’y serais jamais arrivé ! Donc j’ai consulté La Sentinelle sur microfilms, et la Bibliothèque m’a offert gratuitement les photocopies que je désirais. Je lisais les articles de Paul Graber, je les reliais à la situation et aux événements du moment, et j’écrivais à la maison grâce aux photocopies que j’avais emportées. Il suffisait que je téléphone à Mme Béguelin, et on me réservait le microfilm pour le jour suivant. Voilà, c’est parti un peu au hasard, sans plan précis. Normalement, dans ma conception, quoi que l’on entreprenne, il faut toujours commencer par un plan, eh bien là je n’en ai pas fait.

LR : Il t’a fallu combien de temps pour écrire ce livre ?

WS : Je ne sais plus, 6 ou 7 ans où je ne me suis occupé que de ça. J’aurais pu faire plus court, ce qui m‘aurait peut-être permis de faire éditer le livre. Mais je trouvais dommage de ne pas citer certains articles, certains événements, compte tenu du fait que personne à  La Chaux-de-Fonds n’avait jamais écrit une ligne sur Paul Graber. Alors qu’il s’était occupé de Charles Naine et de ses prédécesseurs, personne ne s’est occupé de lui. Je me disais qu’il fallait faire quelque chose, mais à fond, ce que j’ai fait. Quand j’ai demandé à la direction de la Bibliothèque si on pouvait éditer le livre, on m’a répondu : « Mais il faut faire un choix ! » J’étais incapable de dire ce qu’il fallait enlever de mes textes et ce qu’il fallait laisser, et je n’en serais pas plus capable aujourd’hui ou demain.

LR : Combien y a-t-il d’exemplaires du livre ?

WS : Je crois qu’il y en a quatre.

LR : Il y en quatre, plus le livre en ligne, sur internet ? Il y est toujours ?

WS : Oui, il est sur internet, celui-là je ne le compte pas.

LR : Quatre exemplaires imprimés ?

WS : Quatre exemplaires. Il n’a pas été imprimé ailleurs, c’est moi qui l’ai tapé et c’est mon fils qui a corrigé surtout les fautes de frappe. Pour le reste, il a respecté l’auteur, parfois trop.

LR : Et puis il y a eu en 2005-2006 à La Chaux-de-Fonds un procès L’Eplattenier, qui s’est mis un peu dans le cadre de l’année Art nouveau. Raconte-nous ce qui s’est passé à ce procès. D’où  est-il parti ?

WS : Je suis mal placé pour dire d’où il est parti, parce que je ne suis pas du tout dans le coup du procès depuis le départ. Je l’ai découvert dans le compte-rendu de l’Impartial, et j’ai décidé d’assister aux audiences suivantes avec ma femme. Et puis j’ai fait la connaissance de Raymond Spira, qui a bien voulu que je témoigne, puisque j’avais écrit sur cette période.

LR : Le point de départ du procès, c’était un opuscule qui accusait Paul Graber d’avoir été le fossoyeur de la nouvelle section de l’Ecole d’art.

WS : Dans cet opuscule, on attaquait surtout la nouvelle majorité socialiste de 1912 à La Chaux-de-Fonds. Comme je connaissais bien ces événements, je me suis dit qu’il fallait que j’apporte mon témoignage. C’était important, parce que j’ai pu apporter des éléments inconnus de la part des personnes qui avaient présenté les événements dans l’Impartial, qui avaient même dit des choses tout à fait contraires à la vérité. Paul Graber avait suivi les cours de l’Ecole d’Art pendant une année, alors qu’il était instituteur au collège des Joux-Derrière. Il allait tous les soirs à l’Ecole d’Art et il est sorti premier du groupe qui suivait ces cours. Et seul le premier avait le droit, selon le règlement de l’Ecole d’Art, d’aller se perfectionner à Paris. Le directeur de l’Ecole d’Art, M. Aubert, le lui a proposé, et Paul Graber a refusé, car il n’entendait pas faire de l’art sa profession. Le second était Léon Perrin, et il tenait beaucoup, lui, à aller se perfectionner à Paris. Le directeur a demandé à Paul Graber s’il était d’accord de faire l’échange. Léon Perrin a été considéré comme le premier et Paul Graber comme le second, et Léon Perrin est allé se perfectionner à Paris. Ceux qui accusaient Paul Graber au procès ignoraient cela.

LR : Ton témoignage a donc été déterminant pour montrer que Paul Graber n’avait pas cherché à nuire à Charles l’Eplattenier et à l’équipe de l’Ecole d’Art.

WS : Pas du tout ! Paul Graber n’a jamais voulu nuire ni à l’Ecole d’Art, ni au Cours supérieur Je ne vois pas pourquoi il aurait voulu leur nuire. Il avait ses idées sur l’Ecole d’Art, et c’est à l’Ecole d’Art après le passage de Paul Graber qu’il y a eu des dissensions entre les professeurs eux-mêmes. A mon avis, L’Eplattenier y était pour beaucoup. Bref, on ne va pas refaire le procès ! Je crois cependant que, comme on l’a dit pendant les audiences,  Paul Graber et ses camarades socialistes n’étaient pas du tout responsables de la disparition du degré supérieur de l’Ecole d’Art. Sur ce sujet, on pourrait parler encore une heure ! Je ne voudrais pas qu’il soit dit que mon témoignage a été déterminant, il y a eu beaucoup d’autres témoignages déterminants. Le défenseur de Paul Graber qui était …

LR : Francis Stähli

WS : Francis Stähli, oui, il a fait un travail énorme pour sa défense, et il faut rendre à César ce qui est à César.

LR : Ce qui était déterminant, c’est que tu as apporté un élément qui était inconnu.

WS : Inconnu de tout le monde, oui.

LR : Nous n’avons pas encore parlé de ta famille…

WS : Non, pas beaucoup.

LR : Dis-nous quel rôle Renée et tes fils Pierre-André et Marcel ont joué dans toute l’aventure de ta vie.

WS : Si on peut parler d’aventure, car je ne suis pas un aventurier, je tiens à le préciser. J’ai  la chance d’avoir une femme qui a toujours été très modeste, mais qui s’est magnifiquement occupée des enfants. Je peux le constater maintenant, je ne m’en suis pas suffisamment occupé et je dois rendre justice à Renée. J’ai toujours été présent quand même dans les décisions qui ont dû être prises concernant les enfants. Ils ont suivi leurs écoles assez normalement, mais ils n’ont ni l’un ni l’autre de titre universitaire, parce qu’ils ont l’un et l’autre voulu interrompre  leurs études alors que nous étions favorables à leur poursuite. Ils se sont bien débrouillés tous les deux. Pierre-André a toujours enseigné, il a commencé par faire des remplacements à l’école primaire d’Avenches, ensuite il a été nommé à l’école secondaire, et il vient de prendre sa retraite. Marcel a toujours voulu être cinéaste indépendant, et il a fait sa vie et des films. Depuis plus d’une année, il est représentant des cinéastes à Temps présent et il en est très satisfait.

LR : Voilà, pour terminer, j’aurais quelques questions générales que l’on pose à toutes nos « victimes ».

WS : Je ne me sens pas victime !

LR : Eh bien tant mieux !

LR : La chute du Mur de Berlin a-t-elle suscité en toi des espoirs et qu’en penses-tu aujourd’hui?

WS : (Long silence) Il aurait fallu être anormal pour que la chute du Mur ne suscite pas d’espoirs ! Espoir bien sûr, mais il fallait voir la suite. Certes le maire de Berlin était un socialiste, mais je ne vois pas d’espoir dans les gouvernements bourgeois d’aujourd’hui. Le chômage, les richesses mal réparties, ce sont des éléments de guerre ! Dans les années 30, quand les nazis ce sont installés en Allemagne, on avait aussi beaucoup d’espoir du côté de la Russie et puis cet espoir est tombé avec le Pacte germano-russe… L’espoir, c’est momentané !

LR : Que penses-tu de l’évolution des relations entre le PS, le POP et les Verts ?

WS : Ça, c’est la colle, qu’est-ce que je peux dire de plus ? Que j’ai toujours été socialiste, dans les plus mauvais moments je suis resté socialiste, y compris dans les moments où certains croyaient qu’il fallait quitter le Parti socialiste pour faire mieux au POP ou au Parti communiste. Certains sont partis et revenus et d’autres ne sont jamais revenus. Je me permets de penser, et je le dirais même en présence des intéressés, que c’est des gens qui font que l’on n’aura jamais de vraies majorités quelque part. Ils partagent et ils divisent. Je dirais la même chose des Verts, parce que la politique des Verts pourrait se faire dans le cadre du PS. Et au niveau des élections, on a beau replâtrer, on est toujours des adversaires quand même.

LR : Donc tu ne crois pas vraiment à l’avenir d’une gauche plurielle ?

WS : Non ! On y a cru à une époque et on a été tellement déçu… Ce n’est pas à la fin de ma vie que je vais commencer à y croire. J’aimerais bien, mais je n’y crois pas. Je vois la situation peut-être un petit peu différemment dans le canton de Vaud de ce qu’elle est  à La Chaux-de-Fonds, mais ici il  n’y a aucun espoir. Les véritables popistes ici, sont devenus Solidarité, pour encore diviser les popistes. La gauche plurielle, je n’y crois pas, pas du tout ! Il y a une gauche socialiste. On pourrait peut-être ajouter un adjectif… Moi, je suis un social-démocrate, comme on les appelait en Allemagne. Là, je parais un peu vieux… Je ne suis pas le véritable socialiste-socialiste, je suis un social-démocrate.

LR : Tu as été toute ta vie socialiste et syndicaliste. Qu’aurais-tu envie de dire à la jeune génération ?

WS : C’est parce que je suis davantage syndicaliste que socialiste que je suis aussi un adepte du socialisme démocratique. J’ai toujours cru en la discussion, je l’ai déjà dit et je me répète. Il est tolérable que des gens n’aient pas nos idées, mais il faut qu’ils soient ouverts à la discussion, pour que l’on puisse trouver des solutions. Je pense que nous avons fait à l’époque un immense travail de rapprochement des théories entre le syndicalisme, le patronat et les autorités. Et c’est ce que je conseille aux jeunes : avant de prendre des décisions sur un événement, peut-être en attendre un autre pour pouvoir se prononcer. Je voudrais dire à la jeunesse qu’il faudrait qu’elle se préoccupe davantage des problèmes. Ce qui me fait mal au cœur, c’est d’apprendre que les jeunes ne vont pas voter. Peu importe ce qu’ils votent, mais savoir qu’ils ne vont pas voter me chagrine.

LR : Merci Willy pour ta grande disponibilité.

WS : C’est moi qui vous remercie pour votre patience.

 
lundi, décembre 28, 2015
2015-12-28