Source : Nouveau mouvement européen suisse.
René Felber nous a quittés. Ce fils d’ouvrier horloger et instituteur de formation, devenu Conseiller fédéral et Président de la Confédération mérite bien les hommages qui lui sont rendus et qui pleuvent de partout.
Il n’y a pas lieu de revenir longuement sur le parcours politique de notre camarade, engagé dès 1960 au Conseil général du Locle, Président de la ville dès 1964 et jusqu’en 1980. Ni sur son accession au Conseil d’État en 1981, après son élection de 1965 à 1976 au Grand Conseil et son mandat de Conseiller national dès 1967 et jusqu’en 1981.
«Dans les milieux parlementaires, on appréciait ses manières franches et directes ainsi que son caractère de bon vivant sachant goûter les soirées entre amis et ne dédaignant pas la cuisine française ni les pétillants blancs neuchâtelois.» se souvient Urs Altermatt dans son livre sur «Le Conseil fédéral».
Mais c’est bien d’abord et essentiellement son activité au Conseil fédéral et au département des Affaires étrangères, de 1987 à 1993, qui est aujourd’hui rappelée et honorée, dans une période de grandes mutations mondiales. Le Mur de Berlin chute, l’apartheid en Afrique du Sud prend fin, le continent européen se reconfigure et René Felber vivra cette période historique avec intensité. Comme il s’efforcera d’engager des moyens pour la transition au centre et à l’est de l’Europe ainsi que pour l’aide au développement.
Homme de conviction, très sensible à l’injustice, il prendra la défense des droits de l’Homme et des minorités et, avec un caractère marqué par une certaine austérité et discrétion certaine, il marquera son besoin de dialogues et de consensus.
L’intégration européenne se trouve clairement au centre de la politique étrangère de René Felber, ainsi que l’ouverture d’une ère de la neutralité plus flexible pour faire progresser l’ouverture internationale de la Suisse, et cela avec l’appui de son collègue Jean-Pascal Delamuraz.
Il est bon ainsi de rappeler des paroles essentielles prononcées par René tant lors de ses adieux au Conseil d’État qu’au Conseil fédéral devant les législatifs respectifs.
Devant le Grand Conseil d’abord, le 25 janvier 1988 :
«Je voudrais comme unique idée ce soir, vous transmettre celle que j’ai de la collégialité. La collégialité n’est pas et ne doit pas être un oreiller de paresse pour un homme politique… Un homme d’État, issu d’un parti, doit pouvoir garder ses idées et les exprimer au sein d’un collège, mais quand les décisions sont prises par le collège, il est alors lié par ces décisions.»
«On a sans doute, ici et là, entendu des critiques contre ce qu’on appelait un gouvernement fort. Un gouvernement fort est souvent aussi un gouvernement juste… un gouvernement faible, c’est peut-être ce qu’il y aurait de plus dangereux pour la population de cet État.»
René Felber terminait en disant qu’il s’efforcerait d’essayer, le plus souvent possible, «de rendre précisément crédibles et justifiés les efforts de la Suisse en matière de politique étrangère».
Devant les Chambres fédérales ensuite, le 3 mars 1993 :
«Au moment où je m’apprête à quitter mes fonctions, je peux clairement vous avouer combien elles m’ont passionné et combien souvent j’ai regretté l’impossibilité d’aider davantage et mieux ceux qui souffrent, ceux qui changent, ceux qui cherchent la paix et la justice. Je mesure mieux l’impuissance qui est la nôtre et celle de nombreux États devant les douleurs de certains peuple…»
«La dimension d’être humain qui implique force, mais aussi faiblesse, est indispensable à tout homme politique. Le gouvernement représente pour ceux qui en ont la charge la difficile gageure de conserver ses convictions profondes et la nécessité de choisir ce qui est possible…»
«Mes convictions premières, les idées qui m’ont conduit à m’engager, sont restées intactes. Je crois encore et toujours que la majorité des individus sur cette terre se voit imposer un destin qu’elle n’a pas choisi et que son sort doit nous préoccuper dans un effort permanent pour plus de justice et d’équité. Je crois qu’il y aura toujours des faibles et des défavorisés, en Suisse et dans le monde, et que notre devoir est de sauvegarder leur dignité d’êtres humains.»
«Le respect des autres, de leur culture, de leurs traditions, de leurs différences, nous entraîne chaque jour à davantage de solidarité, à davantage de générosité et surtout à moins de conseils.»
Comme on le voit à travers ces déclarations, l’échec populaire du 6 décembre 1992 pour l’entrée de la Suisse au sein de l’Espace économique européen, même s’il a sans doute affaibli la santé de René Felber, n’en a pas affaibli ses convictions et son humanité.
Et en ce jour où nous prenons congé de lui, il faut le rappeler et encore remercier notre camarade pour son engagement.
Francis Matthey,
21.10.2020