« Pour une Suisse compétitive. Pour nos emplois! » Tel est le message placardé dans nos rues par le comité de campagne Réforme fiscale : oui!
Les partisans de la RIE III espèrent que cette réforme dissuadera les entreprises multinationales de délocaliser. Le cadre fiscal sera si intéressant que de nouvelles entreprises viendront s’installer en Suisse, prétendent-ils. Ils pensent aussi que les baisses fiscales, désormais accordées également aux entreprises suisses, permettront à ces dernières d’investir, de maintenir l’emploi et de créer de nouvelles places de travail.
Toutefois, rien ne dit que c’est ce qui va se passer. Deux exemples actuels alimentent le doute quant à l’impact positif de RIE III sur l’emploi. Dans le premier cas, il s’agit de licenciements économiques. Dans l’autre, d’une délocalisation à l’intérieur des frontières suisses.
Les licenciements de Richemont
L’horlogerie passe par une phase difficile. Aussi bien Richemont que Swatch affichent un recul des ventes de l’ordre de 12-13%, tandis que leur bénéfice a fondu quasiment de moitié par rapport à 2015. La faute au franc fort et au ralentissement général de la croissance dans le monde.
En novembre dernier, le groupe Richemont a annoncé la suppression de 200 à 250 postes en Suisse, qui viennent s’ajouter aux 500 déjà biffés depuis 2015. Le groupe Swatch, de son côté, reste fidèle à sa stratégie à long terme qui est de faire subsister l’industrie horlogère suisse et sa main-d’œuvre qualifiée : pas de licenciements.
Qu’est-ce qui peut expliquer que l’une licencie et l’autre pas ?
Ce n’est certainement pas la charge fiscale. Richemont est implanté à Genève et dans le canton de Vaud, deux cantons qui ont annoncé une baisse importante de la fiscalité des sociétés (moins 40%). La perspective de payer moins d’impôts n’a pas convaincu le groupe Richemont de renoncer aux licenciements prévus.
Mais Richemont dorlote ses actionnaires. Alors que Nick Hayek, confronté à une baisse de l’action Swatch Group de plus de 50%, ne craint pas de dire : « Swatch Group vend des montres, pas des actions! »
Bien sûr, c’est un peu caricatural. On peut douter qu’une telle fluctuation du cours de l’action Swatch laisse Hayek aussi indifférent qu’il l’affiche. Et le groupe Richemont est aussi un groupe industriel. Les deux entreprises fondant leur stratégie sur le Swiss made : au moins 60% de la fabrication se passe en Suisse. Il n’empêche : l’une dégraisse, c’est bon pour le cours de l’action ; l’autre préserve ses collaborateurs. Deux philosophies différentes. La fiscalité plancher offerte par Genève et Vaud n’y change rien.
Quand Generali délocalise
Generali, compagnie d’assurance dont le siège est actuellement situé à Nyon, délocalise une partie de ses opérations à Adliswil, dans le canton de Zurich, où se trouve la holding regroupant les activités en Suisse. Cent postes de travail sont concernés. Il est évident que toutes ces places de travail ne subsisteront pas. En effet, si l’entreprise regroupe certaines de ses activités sur un seul site, c’est aussi dans le but de supprimer des doublons.
De manière générale, les assurances sont largement surcapitalisées. En matière d’assurance générale, le capital excessif est évalué à 30% de la somme du bilan. Comparé au capital nécessaire pour satisfaire au test de solvabilité de la Finma (target capital), le capital pris en compte pour déterminer si la société satisfait au test de solvabilité (risk bearing capital) représente en moyenne plus de 180%.
Ce qui veut dire que les assurances sont probablement très intéressées par la déduction des intérêts notionnels introduite par la RIE III : elles détiennent en moyenne un capital excessif représentant 80% du capital qui leur est nécessaire. Par conséquent, si le canton qui les héberge choisit d’introduire cette mesure dans sa loi fiscale, elles pourront alors déduire des intérêts fictifs sur presque la moitié de leur capital propre.
Or le canton de Zurich a fait le forcing pour que les Chambres fédérales adoptent cette mesure (DP 2146). En revanche, le Conseil d’État vaudois a clairement affirmé qu’il n’introduirait pas cette mesure, et qu’il se bornerait à baisser le taux d’impôt sur le bénéfice des sociétés.
Est-ce un hasard si Generali, basée à Nyon depuis 2007, décide désormais de transférer l’essentiel de ses opérations à Adliswil (canton de Zurich), où s’est installée Generali Holding AG ?
Avec un capital-actions de plus de 27 millions de francs (qui ne représente qu’une partie des fonds propres de la société), en admettant que la structure du bilan de la société corresponde à la structure statistique de la branche, Generali aurait un capital propre excessif de l’ordre de 12 millions environ. Actuellement, la société ne pourrait pas en tirer de gros avantages, puisque le rendement des obligations de la Confédération à 10 ans, qui détermine le taux applicable pour le calcul des intérêts notionnels, est négatif. Mais tôt ou tard, les taux d’intérêt vont remonter. L’aspect fiscal n’a sûrement pas été le motif premier de la délocalisation de Generali, mais il offre un à-côté qui vient renforcer les autres arguments.
La préférence pour les investisseurs
On peut finalement rapprocher le cas Generali des 750 suppressions d’emplois annoncées ce printemps par le groupe Zurich. Ce dernier a vu plonger son bénéfice de plus de 50% en 2015. Un résultat décevant pour une entreprise qui vise un rendement des fonds propres de 12 à 14%. Néanmoins, le dividende versé aux actionnaires – non imposable puisqu’il s’agit de distributions faites à partir de réserves d’agio – restera inchangé.
Le groupe Generali, avec la nouvelle stratégie qui conduit à la délocalisation annoncée, vise une plus grande efficacité, soit un rendement de l’ordre de 13%, et annonce vouloir distribuer plus de 5 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires (Bilan, 23 novembre 2016).
La RIE III prévoit des allègements considérables pour les entreprises, et pour les sociétés en particulier. Avec ses niches à la carte, elle exacerbera la concurrence fiscale entre les cantons. Et il ne fait aucun doute que les actionnaires seront les grands gagnants de la réforme.
Domaine public, 25 décembre 2016