Automne 1971, élections fédérales
Je suis au PS depuis une année, et c’est la première campagne électorale à laquelle je participe activement. Hourra ! Pierre Aubert est élu au Conseil des Etats ! J’ai conservé longtemps la modeste affichette en bleu sur fond blanc avec sa photo, qu’il m’avait dédicacée de son écriture inimitable (et difficilement déchiffrable), entre la calligraphie et les pattes de mouche… et je l’ai remise aux archives du PSMN.
1972, congrès du PSS à Interlaken
Mon premier congrès suisse ! Je ne suis pas peu intimidée lorsque je me trouve assise à côté de Pierre Aubert à la table des Neuchâtelois. À cette époque, pas d’appareil photo numérique, pas de smartphone, mais un photographe officiel qui parcourt l’assemblée (et on peut acheter les photos le deuxième jour du congrès). Il veut bien sûr photographier notre conseiller aux États qui, pour ajouter à ma confusion en se moquant gentiment de moi, pose le bras sur le dossier de ma chaise et s’exclame : « Photographiez-moi avec ma fiancée ! » Je conserve la photo avec un Pierre Aubert souriant comme toujours, et moi qui ai l’air d’une gamine consternée.
1974, congrès du PSS à Montreux
Heidi Deneys et moi assistons à un épisode surréaliste le samedi soir dans un bar : Pierre Aubert, conseiller aux États et René Felber, conseiller national, jouent la comédie devant le barman. L’un est un patron important et l’autre son secrétaire larbin et souffre-douleur, qui se fait engueuler sans relâche. La scène est criante de réalisme et les camarades présents morts de rire.
1977, élection de Pierre Aubert au Conseil fédéral
Le 7 décembre, Pierre Aubert est élu au premier tour avec 190 voix, un score canon. Le 14 décembre a lieu sa réception lors d’une cérémonie officielle à La Chaux-de-Fonds. Députés, conseillers généraux et militants socialistes sont dans le cortège. Je tiens par la main ma filleule, Martine, qui brandit avec conviction une rose rouge. Son petit frère Laurent est parmi les spectateurs avec ses parents. Il ne sait pas encore qu’il sera conseiller d’État… Le repas à la Maison du peuple est vite expédié, car le train spécial repart pour Berne à 21h15.
1982, élection de Pierre Aubert à la présidence de la Confédération
Le 9 décembre, par un froid de canard, nouvelle réception, nouvel accueil enthousiaste de la population, nouvelle cérémonie, nouveau repas à la Maison du peuple, à vrai dire meilleur que celui de l977 (j’ai gardé les menus, dédicacés bien sûr). Cette fois, le train spécial repart à 21h25. La presse locale souligne la volonté d’ouverture et l’importance du respect des droits humains réaffirmées dans tous les discours de Pierre Aubert, ainsi que son souhait que la Suisse fasse partie de l’ONU. Entendu à la Salle de Musique : « Vas-y Toto, y a du boulot ! »
1986, nouvelle élection de Pierre Aubert à la présidence de la Confédération
Le 11 décembre, les Chaux-de-Fonniers réservent à nouveau un accueil triomphal à Pierre Aubert. Tous les discours rendent hommage à l’homme, à sa générosité et à sa politique d’ouverture. Dans son éditorial, Gil Baillod se demande pourquoi la classe politique fédérale passe son temps à critiquer notre conseiller fédéral pour finalement l’élire brillamment, et il relève que Pierre Aubert touche chacun par sa simplicité et sa sincérité. Dommage qu’il n’y ait pas eu de troisième présidence, car à chaque fois le menu était plus alléchant !
Après sa démission du Conseil fédéral, Pierre Aubert manifeste sa fidélité à La Chaux-de-Fonds de différentes manières, dont une participation régulière à la rencontre des ancien‑ne‑s président‑e‑s du Conseil général dès la création de cette amicale informelle par Serge Vuilleumier. Par exemple : visite de l’aéroport des Éplatures en 2003, de Robosite dans ses locaux d’Esplanade en 2007…
On peut constater avec tristesse que l’état de santé de Pierre Aubert se détériore, nombreux problèmes dus d’abord à l’arthrose, qui le contraignent à renoncer au vélo et au violon, ses deux passions. Mais l’un de ses dadas, parler de son agenda, reste bien présent.
2010, après le congrès du PSS à Lausanne
Le 2 novembre, je vais chercher Fernand Donzé chez lui et nous retrouvons à l’hôtel du Poisson à Auvernier Willy et Renée Schüpbach (rappelons que Willy Schüpbach est le cousin de Pierre Graber et l’auteur d’un livre sur Paul Graber, son oncle et le père de Pierre). Au moment de l’apéritif, un Pierre Aubert furieux se précipite sur moi (le verbe « se précipiter » est exagéré car il marche avec difficulté, mais l’intention y est !) et me passe un monumental savon. D’après lui, je serai responsable si le PS perd un siège au Conseil fédéral. L’origine de ce courroux ? La prise de position du congrès sur la suppression de l’armée. J’ai beau lui dire piteusement que j’ai voté contre, je ne sais comment le calmer. C’est Fernand qui trouve la solution : « Pierre, laisse-nous manger et viens ensuite prendre le café avec nous ! » Effectivement, c’est un Pierre tout radouci qui nous rejoint et je me sens admirative devant ces aînés qui ont travaillé si longtemps et avec tant de conviction pour l’idéal socialiste, et qui débattent encore avec fougue des grandes questions de société.
2014, rencontre des ancien-ne-s président-e-s du Conseil général
Pierre Aubert ne s’est pas inscrit. Je lui téléphone pour savoir s’il a oublié. Il est très touché de mon appel, mais pas assez bien pour se joindre à nous le 7 mai. Lors du repas après la visite du Musée d’Histoire tel qu’il se présente avant sa réouverture, je fais passer une carte de vœux que les présent-e-s signent avec un petit mot d’amitié. Pierre en sera très ému.
2015, rencontre des ancien-ne-s président-e-s du Conseil général
Cette fois, Pierre Aubert répond présent le 11 mai. Son fils le conduit à La Chaux-de-Fonds le matin, car il a des choses à superviser dans sa maison des Allées à laquelle il est si attaché. Il nous rejoint sur ses cannes à la Loge maçonnique, objet de notre visite culturelle. Il est assis à côté de moi et trouve le temps un peu long, car ce qui l’intéresse c’est le contact avec les gens. Il y a pourtant eu tant de président-e-s qui se sont succédé au perchoir depuis son année présidentielle (1967 – 1968) qu’il ne connaît presque plus personne ! En plus, il ne peut plus rien manger, nourri qu’il est par sonde gastrique. Cela ne l’empêche pas d’assister avec plaisir au repas et de boire un petit verre. Il a un mot amical pour celles et ceux qui viennent le saluer, et se laisse prendre en photo avec un grand sourire aux côtés des deux dernières présidentes, Sarah Blum (2014 -2015) et Célia Clerc qui vient d’entrer en fonction. Mais il se sent fatigué bien avant la fin des festivités, et je le reconduis à Auvernier en bavardant avec lui, sans savoir que c’est la dernière fois que je le vois.
La Chaux-de-Fonds, le 19 juin 2016
Loyse Renaud Hunziker