Pour adapter la fiscalité des entreprises aux standards internationaux et répondre aux doléances de l’Union européenne, le Conseil fédéral décide en 2008 d’ouvrir le chantier d’une troisième réforme de l’imposition des entreprises (DP 2142). Un chantier complexe impliquant la collaboration des cantons et des milieux économiques, qui n’aboutit qu’en 2015 avec la transmission au Parlement d’un Message à l’appui des modifications législatives nécessaires à cette réforme.
Selon le gouvernement, cette réforme poursuit trois objectifs :
- Renforcer l’attrait de la Suisse pour les entreprises ;
- Rétablir l’acceptation internationale du système d’imposition helvétique ;
- Assurer un rendement fiscal suffisant pour financer les tâches de l’État.
L’impossible équilibre
L’exercice exige un subtil équilibre. Le respect des standards internationaux implique l’égalité de traitement de toutes les entreprises sises sur le territoire. Mais l’application du taux normal en vigueur aux sociétés bénéficiant jusqu’ici d’une imposition privilégiée provoquerait l’exode d’une partie d’entre elles. Reste donc la réduction générale du taux d’imposition des entreprises. C’est là l’affaire des cantons puisque la Confédération décide de maintenir son taux actuel (8,5%).
Mais l’attractivité ne repose pas seulement sur le niveau des taux; elle dépend également de l’assiette fiscale, à savoir la définition du revenu imposable. Aussi le Conseil fédéral prévoit-il une série de mesures à disposition des cantons – une sorte de boîte à outils – leur permettant de réduire cette assiette.
Car tous les cantons ne sont pas logés à la même adresse fiscale. Pour certains (VS, AG, SO), les sociétés à statut spécial ne représentent qu’une infime partie de leurs rentrées fiscales, alors que pour d’autres (BS, ZG, NE, SH, BL, GE, VD) elles contribuent de manière substantielle à leurs recettes. Par ailleurs les moyens de retenir des entreprises – lisez les types de déductions – diffèrent selon la nature de leurs activités: recherche, brevets, commerce…
Il s’agit au premier chef de la patent box, addition des revenus provenant de droits immatériels – licences notamment – qui seraient soumis à un taux réduit. Ou encore de la possibilité de déduire du bénéfice les dépenses en matière de recherche et développement. Pour améliorer la «systématique fiscale des entreprises», le Conseil fédéral propose notamment la suppression du droit de timbre sur l’émission de capital propre.
Afin de compenser les pertes fiscales induites par ces mesures, le gouvernement imagine de nouvelles ressources telles qu’une réduction des avantages exorbitants accordés aux actionnaires par la réforme de l’imposition des entreprises II de 2008 (DP 1949). Il prévoit également la création de 75 postes de contrôleurs à l’Administration fédérale des contributions, susceptible de rapporter 250 millions supplémentaires à la caisse fédérale. Il renonce en revanche à imposer les gains en capital, une mesure qui a rencontré une vive opposition lors de la procédure de consultation. Enfin pour aider les cantons qui devront réduire leur taux d’imposition, il propose d’augmenter leur part au produit de l’impôt fédéral direct qui passerait de 17 à 20,5%.
Dans son Message, le gouvernement est peu disert sur la diminution des recettes fiscales de la Confédération résultant de ce programme. Il l’évalue à 1,3 milliard (Message p. 4708).
La course aux déductions
Le projet va connaître un parcours parlementaire tumultueux. Certes, le Conseil des Etats boucle le dossier en une seule séance. Il repousse la suppression du droit de timbre à plus tard. Par contre les sénateurs rejettent l’alourdissement de l’imposition partielle des dividendes et gonflent la déduction des dépenses de recherche à 150% de leur montant effectif. Et ils font passer à 21,2% la part des cantons à l’IFD.
Au Conseil national, la nouvelle majorité PLR/UDC issue des élections de l’automne 2015 ne peut se retenir d’exercer sa force. Elle chamboule l’équilibre du projet et multiplie les déductions possibles.
Ainsi elle décide un nouvel allégement qui permet aux entreprises de déduire des intérêts fictifs sur leur capital propre (intérêts notionnels) – ceux qu’elles auraient pu encaisser si elles l’avaient placé sur les marchés financiers. Pour les sociétés maritimes, elle introduit l’imposition du tonnage plutôt que du bénéfice. Elle refuse par contre d‘avaliser la générosité du Conseil des Etats envers les cantons – leur part reste fixée à 20,5% de l’IFD. Et, comme pour montrer que sa générosité n’est pas sans limites, la majorité bourgeoise fixe un plafond des déductions possibles, dont la somme ne devra pas dépasser… 80% du bénéfice!
S’ensuivent alors plusieurs allers-retours entre les deux Chambres, concessions contre concessions pour aboutir in extremis à un texte commun. En particulier, le National abandonne la taxe au tonnage et se rallie à une part plus élevée des cantons à l’IFD (21,2%). Il maintient par contre la déduction des intérêts notionnels, valable pour les seuls cantons qui augmenteront l’imposition partielle des dividendes (60% au lieu de 30%).
Au final, le projet résulte d’une course aux niches fiscales et d’un marchandage de vendeurs de tapis. Il offre à toutes les entreprises, y compris à celles qui ne bénéficiaient pas auparavant de privilèges fiscaux, des effets d’aubaine. A savoir la possibilité de minimiser leurs impôts quand bien même elles n’auraient pas envisagé de s’exiler à défaut de ces nouveaux allégements.
Parce qu’il ne prévoit pas de compensations financières suffisantes pour les importantes pertes fiscales qu’il provoquera, ce projet reste trop déséquilibré. De ce fait, il va contribuer à creuser les déficits budgétaires et à justifier de sévères programmes d’économies. C’est ce que nous détaillerons dans un prochain article.
(À suivre)
Jean-Daniel Delley
Article original sur le site de Domaine Public : La genèse et le contenu du paquet législatif soumis au vote le 12 février 2017