L'utopie n'est pas de croire qu'on arrivera un jour à changer le monde, mais plutôt de croire que le monde pourra éternellement vivre comme il le fait actuellement. Si la gauche n’essaye pas de changer le monde, qui le fera ?

Préambule

Le texte qui suit risque d'être assez long, mais j'y suis obligé si je ne veux pas que vous taxiez l'auteur de populiste par la suite. Je vous demande donc de lire mes arguments jusqu'au bout et de ne juger les propositions que je ferai en fin d'intervention qu'à l'aune de ces arguments.

Le néo-libéralisme nous mène dans une impasse.

Croire à la croissance perpétuelle est de la pure naïveté.

La croissance des 30 glorieuses est une exception de l'Histoire. Thomas Piketti l'a démontré dans son livre « Le capital au XXIe siècle ».

Un taux de croissance de 1% équivaut à presque tripler la valeur de départ en 100 ans !

La population mondiale a progressé d'à peine 0,8% par an en moyenne entre 1700 et 2012. À l'heure actuelle, nous sommes 7 milliards. Si ce rythme de 0,8% devait se poursuivre dans les trois siècles à venir, alors la population mondiale dépasserait les 70 milliards vers 2300.

Le libéralisme, ou néo-libéralisme, ou néo-classicisme ou encore orthodoxie économique (les néo-libéraux, ne pouvant assumer les écarts de plus en plus béants entre leur théorie et la réalité des faits, changent de masques mais leur idéologie reste la même !), est une croyance basée uniquement sur un dogme trinaire : le marché, la concurrence et la transparence. C'est donc sur des postulats sans preuve que s’appuient de pseudo-scientifiques pour démontrer tous les bienfaits du capitalisme débridé. Tout raisonnement valide débouche sur des résultats faux s’il s’appuie sur des postulats faux.

Le libéralisme est fondé sur l'idée que l'égoïsme est inné chez l'Homme. Rappelons que le débat sur cet aspect de l'être humain faisait rage (Rousseau contre Hobbes, entre autres) aux temps où Adams Smith construisit sa théorie.

Cette conception égoïste de l'Homme est soit un oreiller de paresse (l'Homme est égoïste, on ne pourra jamais le changer), soit un écran de fumée pour cacher son propre égoïsme et tranquilliser sa conscience étriquée.

Qu'on me montre un seul marché qui fonctionne ‒ durant un laps de temps suffisamment long pour qu'il puisse être analysé ‒ à la satisfaction de tous sans être un tant soit peu régulé ! Il n'y en a aucun.

Celui de la grande distribution, qu'il faut totalement libéraliser pour le plus grand bien des consommateurs ? Résultat des courses (si je puis dire) : des milliers de petits commerces ont disparu, les producteurs n'arrivent plus à vivre de leur travail, les prix des produits sont dictés par un duo-pôle de grands distributeurs.

La concurrence n'est pas un moteur de prospérité : elle pousse à la tricherie (et pas seulement dans le sport) pour passer devant le concurrent, être le plus fort, ou tout simplement éviter de disparaître. Le cas VW vient de le prouver.

La transparence du marché n'existe pas. Elle n'a jamais existé et n'existera jamais. Et surtout pas dans le domaine financier où les banques trafiquent les taux, « optimisent la fiscalité » et cachent des pratiques difficilement avouables derrière un secret bancaire qui ne protège que les plus fortunés.

Quant à mettre le secteur de la santé, celui de la formation ou celui de la sécurité sur le même plan et dans les mêmes conditions de marché que celui des colifichets, c'est juste de la malhonnêteté intellectuelle.

Le revenu du capital est plus important que le revenu du travail.

Les inégalités continuent d'augmenter d'années en années.

Les mandarins de HNE se sont oytroyés, avec la bénédiction du Conseil d'État, des hausses de salaire de 25% en 2015 !

Les salaires des grands « patrons » ne cessent d'augmenter alors que le pouvoir d'achat des plus pauvres et de la classe moyenne ne cesse de diminuer.

Comment expliquer ce paradoxe : ce sont les travaux les plus pénibles qui sont les moins biens rémunérés ?

Le management moderne est l'émanation du néo-libéralisme.

Citations tirées de « La société malade de la gestion » et de « Manifeste pour sortir du mal-être au travail », Vincent de Galejac.

« La culture du résultat, présentée comme une nécessité pour recrédibiliser l'action publique, risque d'entraîner l'effet inverse. Loin de produire un meilleur service public, elle transforme les usagers en clients, les agents en représentants de commerce et les institutions en entreprises. »

« La performance n'est plus mesurée à l'aune de la qualité du service rendu pour tous, mais en fonction de son coût et de ses résultats financiers. »

« Le management par projet est devenu le modèle de la gouvernance : la conception gestionnaire de la politique se substitue au gouvernement. »

« Les outils d'évaluation des politiques publiques, calqués sur la gestion privée, conduisent à la perte du sens du service public, et de la politique elle-même. »

« La gestion n'est pas mauvaise en elle-même ; elle le devient lorsque, sous prétexte de réforme ou de rationalisation, on applique des outils à l'aveugle, sans se préoccuper des conséquences humaines, organisationnelles et sociales, sans prendre en compte le point de vue de ceux qui doivent les mettre en œuvre, sans analyser les répercussions sur le reste de la société. »

« Les sociétés hyper-modernes semblent perdre le sens d'elles-mêmes. La mobilisation sur le travail conduit à inverser l'ordre des priorités, comme si la société tout entière devait se mettre au service de l'économie. »

« L'économie politique devient une économie gestionnaire, dans laquelle les considérations comptables et financières l'emportent sur les considérations humaines et sociales. »

« Le management [est une] technologie de pouvoir, entre le capital et le travail, dont la finalité est d'obtenir l'adhésion des employés aux exigences de l'entreprise et de ses actionnaires. »

« En allant chercher du côté des sciences exactes une scientificité qu'elles n'ont pu conquérir par elles-mêmes, les sciences de la gestion servent en définitive de support au pouvoir managérial. Elles construisent une représentation de l'humain comme ne ressource au service de l'entreprise contribuant ainsi à son instrumentalisation. »

« Comme citoyen, je suis préoccupé par les dérives d'une société dans laquelle les inégalités augmentent, l'environnement se dégrade, le débat politique devient insignifiant et le désenchantement est à son comble. »

« Désigner le caractère idéologique de la gestion, c'est montrer que derrières les outils, les procédures, les dispositifs d'information et de communication, sont à l’œuvre une certaine vision du monde et un système de croyances qui cache un projet de domination. »

« Près de 70% des articles publiés dans les revues de recherche en gestion entre 1991 et 2002 sont signés par au moins un auteur établi aux États-Unis. »

« Une des premières aides offerte en 2002 par le président Bush à l'Irak est un programme de bourses de formation en gestion aux État-Unis. »

« La nouvelle gouvernance demande une mobilisation subjective intense pour « réussir », tout en mettant en place des outils de gestion qui instrumentalisent les salariés, réduisent le « facteur humain » à une addition d'indicateurs mesurables. »

La gestion néo-libérale considère les salariés comme des ressources au même titre que les machines et le parc immobilier.

La culture de l'urgence et du changement permanent augmente le stress et entraîne l'absentéisme.

La culture de la performance individualise les salariés, les met en compétition. Or, seul le collectif peut répondre aux situations d'imprévu auxquelles les services sont confrontés quotidiennement.

Les injonctions paradoxales, entre autre « faire plus avec moins », provoquent la démotivation.

Absentéisme, individualisme, démotivation entraînent des coûts indirects importants, effets inverses de ce qui était recherché.

Des employés démotivés.

Idées tirées de « Le bonheur au travail », film réalisé par Martin Meissonnier en février 2015.

En France comme en Allemagne, seuls 10% des salariés sont motivés, 60% sont désenchantés et 30% sont totalement démotivés, ils viennent au travail pour saboter et détruire.

D'où la question : « Ceux qui ne sont pas motivés, l'étaient-ils déjà lorsqu'ils ont été engagés ? »

Une organisation pyramidale lourde étouffe les exécutants qui ne peuvent plus prendre d'initiative et les pousse à faire leur travail comme des automates, sans remettre en question leurs pratiques (il ne le faudrait surtout pas, si l'on veut éviter des représailles de la part de la hiérarchie).

Une hiérarchie verticale permet la dilution des responsabilités. Ceux-là mêmes, les grands patrons, qui veulent soi-disant justifier leurs salaires insolents, touchent des parachutes dorés lorsqu'ils ont mis leurs entreprises à genoux.

Le salaire n'est pas tout, c'est la relation qui a du sens. Les salariés, à tous les échelons ‒ ou presque ‒ de la hiérarchie, ont besoin de reconnaissance ; ils ont besoin de sentir que ce qu'il font est utile à l'entreprise ou à la société. Il n'y a pas pire sentiment que celui de se sentir inutile, les chômeurs sont là pour en témoigner. Or, la plupart du temps, les salariés ont le sentiment, presque toujours justifié, que ce qu'ils font est non seulement inutile, mais va à l'encontre de l'intérêt de l'entreprise ou de la société.

Pourtant de nombreux exemples montrent que l'on peut changer les choses :

Harley-Davidson, en 1980 au bord de la faillite, casse sa hiérarchie, met l'humain au cœur de son fonctionnement. C'est la créativité des salariés qui permet à la marque de sortir de l'ornière et de renouer avec la croissance. Lorsqu'en 1997, son directeur part à la retraite, les nouveaux managers mettent l'entreprise en bourse, recréent une hiérarchie verticale et Harley Davidson rebat de l'aile.

Neuf autres exemples sont donnés dans le film ‒ même le Ministère belge des transports a repensé son mode de fonctionnement ‒ qui montrent que d'autres pratiques managériales peuvent être mises en place pour le profit de tous; même si, il ne faut pas se leurrer, tout n'est pas rose et qui dit relations humaines, dit aussi tensions possibles.

L'argent ne fait pas le bonheur.

Une étude américaine a démontré que l'argent faisait le bonheur jusqu'à concurrence de 75'000 $ de revenu par an. Une fois ce niveau de richesses atteint, la recherche de nouvelles richesses perd tout sens et tout plaisir. On peut comparer cette quête à une drogue, la richesse n'est plus un moyen mais un but en soit ; elle perd toute valeur.

Par ailleurs, la concentration des richesses dessert l'économie. Souvent« investies »dans des biens immobiliers, des terrains, des œuvres d'art, elles ne servent qu'à la spéculation.

Les hauts salaires desservent l'économie locale. Les surplus de salaires sont dépensés à l'étranger sous forme de vacances ou d'achats de résidences secondaires.

Pour être heureux, il faut donner du sens à sa vie ; or, le travail qui occupe les salariés la majeur partie de leur temps ne leur apporte plus aucun sens. Autrefois, lorsqu'un cordonnier fabriquait une paire de chaussures et qu'il la vendait à un client, il savait ce qu'il faisait et pourquoi il le faisait. Aujourd'hui, pour l'ouvrière qui répète, chaque jour, des centaines de fois une même couture sur des centaines de chaussures : quel sens ses gestes donnent-ils à sa vie ?

La social-démocratie est à bout de souffle.

Mitterrand a déçu, Tony Blair a déçu, les sociaux-démocrates allemands, italiens, espagnols ont déçu. François Hollande continue de décevoir.

Les Conseils d'État neuchâtelois à majorité de gauche (2005-2009 et 2013-2017) déçoivent la population.

Il est vrai, et je le redis toujours à qui veut bien l'entendre, que la social-démocratie est le service après-vente du libéralisme.

À chaque fois que des gouvernements de gauche sont arrivés au pouvoir, c'était parce que la droite avait mis l'État dans une situation catastrophique.

Il est vrai également que l'actuel gouvernement neuchâtelois n'est en place que depuis deux ans et demi et que ‒ et c'est un argument de poids ‒ contrairement à celui de 2005, le parlement actuel est solidement ancré à droite.

« Tous pourris ! », « Que ce soit la gauche ou la droite au pouvoir, c'est bonnet blanc, blanc bonnet ! », voilà ce que nous, militants de la base, devons entendre régulièrement dans la rue ou de la part de nos relations. Il est donc de plus en plus difficile de défendre le parti. On a beau répondre que, dans le canton, la gauche n'a eu un vrai pouvoir  (majorité au législatif et à l’exécutif) que durant 4 ans ; contre 163 ans pour la droite. Cette idée n'est pas intégrée dans les esprits.

Sans vouloir jouer les Cassandre, on ne peut qu'être très pessimiste quant à l'avenir de l'humanité.

Jacques Attali dans son « Histoire de la modernité » propose six conceptions de l'avenir toutes plus terribles les unes que les autres et qui aboutissent toutes à l'anéantissement de l'humanité. Il en ajoute une septième qui, seule, permet à l'humanité de s'en sortir : ce qu'il appelle la « modernité de l'altruisme ».

C'est donc un changement total de paradigme qu'il faut avoir : passer de la civilisation de la croissance financière à la civilisation altruiste.

Naturellement, on va taxer cette vision de complètement naïve ; mais je pense qu'au contraire, c'est de croire que nous pourrons éternellement vivre de croissances (démographique, industrielle ou financière) qui est une idée pour le moins naïve. Ou alors ne s'agit-il que d'une posture, celle de l'autruche.

La gestion actuelle subordonne le politique à l‘économique.

« La gestion [telle qu'elle est pratiquée actuellement] conduit à canaliser les énergies et les pensées sur un ordre social soumis à des intérêts économiques. Sa critique débouche sur une réhabilitation de l'action politique dans sa conception la plus noble  : construire un monde commun dans lequel la préoccupation de l'autre l'emporte sur l'intérêt individuel. Un monde dans lequel la compétition serait réservée au jeu et la collaboration à l'économie. Un monde dans lequel la richesse produite serait consacrée à réduire les inégalités sociales et éradiquer la misère... Un monde que nous serions fiers de transmettre à nos petits-enfants. » Vincent de Gaulejac

Nous pouvons déjà essayer de le faire à l'échelle locale.

Propositions :

  1. Le parti socialiste doit s'investir d'avantage dans le terrain, aller à la rencontre des gens, non pas seulement pour distribuer des tracts ou faire signer des initiatives, mais aussi pour les écouter et les aider à résoudre leurs difficultés. J'avais déjà proposé d'ouvrir un permanence juridique et sociale au local du parti. Je réitère ma proposition. Cela permettrait d'une part de donner aux plus démunis les moyens, ou tout au moins des pistes, pour sortir de leur mauvaise passe ; d'autre part, cela apporterait au parti un retour sur les lois et règlements promulgués et leurs effets, éventuellement, pervers.
  2. Le gouvernement neuchâtelois est trop prompt à faire appel à des ressources extérieures (sociétés de conseil, audit externes, licences informatiques...). Des centaines de milliers de francs, voire des millions, s'évaporent ainsi qui ne profitent pas à l'économie neuchâteloise. Les gouvernements cantonal et locaux devraient revoir la façon dont fonctionnent leurs services : mettre la collaboration au cœur de leur fonctionnement, casser les hiérarchies pour améliorer la circulation des informations, remotiver les exécutants en en faisant de réels partenaires, mettre en place les moyens nécessaires à une autogestion pérenne de toutes les structures.

On l'a vu, l'argent ne fait pas le bonheur et les surplus de salaires ne sont pas efficaces pour l'économie locale. Pour sortir l'État de sa mauvaise situation financière, un gouvernement de gauche devrait décréter le plafonnement des salaires mensuels de toute la fonction publique et parapublique, par exemple à Frs 10'000.- net (hors primes). Au moins pour une période déterminée.

On me rétorquera

  • que la majorité de droite du Grand conseil refusera une telle proposition. Soit, mais alors c'est elle qui en endossera la responsabilité.
  • que cette mesure n'est pas suffisante pour remettre les finances de l'État à flot. Certes, mais elle peut y contribuer.

Je souligne également que cette mesure ne peut être prise de but en blanc et qu'elle doit être expliquée, commentée et argumentée, comme je l'ai fait ici.

L'utopie n'est pas de croire qu'on arrivera un jour à changer le monde, mais plutôt de croire que le monde pourra éternellement vivre comme il le fait actuellement.

Si la gauche n’essaye pas de changer le monde, qui le fera ?

Luc Rochat

2016-03-07
 

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