On en voit déjà les effets depuis que le néo-libéralisme a envahi notre quotidien. Deux exemples parmi d’autres et qui ne sont pas anodins : les slogans de la COOP ,« pour moi et pour toi » et de l’UDC, « Les nôtres avant les autres ». Poursuivre dans cette voie est suicidaire. C’est le dernier moment pour inverser la tendance et revenir à une vision plus fraternelle de l’Autre !1
Ce qu’on vous dit
« Ce n’est pas la bienveillance du boucher, du marchand de bière ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. » Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776
Pour construire un système économique durable, nous devons prêter aux gens les pires intentions.
Ce qu’on ne vous dit pas
L’égoïsme est très puissant chez la plupart d’entre nous. Mais il n’est pas notre seule force motrice. Très souvent, il n’est même pas notre motivation première. Si le monde était peuplé d’individus égoïstes comme dans les manuels d’économie, il serait paralysé : nous passerions notre temps à tricher, à essayer de débusquer les tricheurs et à les punir. Ce qui serait totalement contre-productif.
La théorie économique du marché libre postule au départ, que tous les agents économiques sont égoïstes (comme le résume le jugement d’Adam Smith sur le boucher, le marchand de bière et le boulanger) et que seul le marché peut, naturellement, limiter les comportements égoïstes et les transformer en quelque chose de bon pour la société.
Aux yeux des économistes libéraux, les responsables publics (élus et fonctionnaires) sont à cet égard particulièrement dangereux, car on ne peut pas brider sensiblement leurs menées égoïstes puisqu’ils ne sont pas soumis à la discipline du marché. Certains vont encore plus loin en préconisant aux forces du marché la gestion de l’État lui-même et en sous-traitant au privé les services publics.
Si le monde fonctionne comme il le fait, c’est uniquement parce que les êtres humains ne sont pas les agents totalement égoïstes que l’économie libérale voit en eux. Il est tout bonnement impossible de gérer une grande organisation bureaucratique, que ce soit une grande multinationale ou l’État, en postulant que chacun ne pense qu’à lui ! Nous ne sommes peut-être pas des anges, mais, nous avons quantité de preuves démontrant que l’intérêt personnel n’est pas la seule motivation humaine qui compte, même dans la vie économique. L’honnêteté, le respect de soi, l’altruisme, l’amour, la sympathie, la foi, le sens du devoir, la solidarité, la loyauté, le civisme, le patriotisme... pèsent parfois plus lourd que l’égoïsme pour déterminer nos comportements.
Les entreprises qui réussissent sont gérées sur la base de la confiance et de la loyauté, pas de la suspicion et de l’intérêt personnel. Les bons managers savent que les gens ne sont pas des robots égoïstes à œillères, mais qu’ils ont de « bons » et de « mauvais » côtés, et que le secret du management réussi est d’amplifier les premiers et d’atténuer les seconds.
On ne peut pas tout préciser dans les contrats de travail, donc tout processus de production dépend énormément de la bonne volonté des salariés, qui effectuent des tâches supplémentaires que leur contrat n’exige pas, font preuve d’initiative et prennent des raccourcis pour faire avancer les choses quand les procédures sont trop pesantes.
Dans le système japonais, les ouvriers exercent un contrôle considérable sur la chaîne de production. On les encourage aussi à faire des suggestions pour améliorer le processus productif. Cette approche a permis aux firmes nippones d’atteindre une telle efficacité et une telle qualité qu’aujourd’hui de nombreuses compagnies des autres pays les imitent.
Le comportement moral est-il une illusion d’optique ?
Plus important : dans un monde peuplé d’individus égoïstes, le mécanisme invisible récompenses/sanctions ne peut pas exister. Pour une raison simple : récompenser ou punir les autres de leurs comportements ne prend du temps et de l’énergie qu’à ceux qui le font, tandis que le résultat de leur action - l’amélioration des normes de conduite - profite à tout le monde.
Autrement dit, si ces mécanismes invisibles de récompenses et de sanctions qui, selon les économistes libéraux, créent l’illusion d’optique de la morale existent, c’est uniquement parce que nous ne sommes pas les agents amoraux, égoïstes, que ces économistes voient en nous.
Nous naissons dans des sociétés qui ont certains codes moraux, et nous nous socialisons en "intériorisant" ces codes moraux.
Si chacun ne recherchait vraiment que son propre intérêt, le monde aurait déjà cessé de fonctionner, tant il y aurait de tricheurs dans le commerce et de tire-au-flanc dans la production. Mais attention : si nous prêtons les pires intentions à nos contemporain-e-s, ils et elles feront le pire ! À force d’être amorale, l’économie est devenue immorale. Il est temps d’inverser la tendance, de ramener un peu de morale, de confiance et de fraternité dans les rapports humains que ce soit au travail ou dans les échanges commerciaux. Les entreprises doivent redevenir conscientes du rôle social qu’elles doivent jouer. Et cela pour le bien de l’économie comme pour celui de l’humanité.
Luc Rochat