« Je pense que la société est responsable d’un très gros pourcentage de ce que j’ai gagné. Plantez-moi au beau milieu du Bengladesh, du Pérou ou d’un endroit de ce genre, et vous verrez ce que mes talents vont produire dans le mauvais terreau. J’aurais encore bien du mal à gagner ma vie trente ans plus tard. Je travaille dans un système de marché, et il se trouve qu’il rémunère très bien, voire démesurément, ce que je fais. » Warren Buffet

Ce qu’on ne vous dit pas

La raison principale des écarts de salaires entre pays pauvres et pays riches, ce ne sont pas les différences de productivité individuelle : c’est le contrôle de l’immigration et les mesures prises à l’encontre du dumping social.

Les salaires sont donc, dans une large mesure, déterminés politiquement et si nous voulons construire une société réellement juste, nous devons rejeter le mythe selon lequel nous serions payés en fonction de notre valeur personnelle.

La théorie économique du marché nous explique que, si un produit coûte plus cher qu’un autre produit comparable, c’est nécessairement qu’il est meilleur. Cela signifierait donc qu’un chauffeur de bus zurichois ou genevois est nettement meilleur qu’un chauffeur de New Dehli ou de Madras puisque son salaire est cinquante fois plus élevé ‽ Et pourtant, il n’est certainement pas plus facile de conduire un bus dans une ville de plusieurs millions d’habitants en Inde que dans une « grande » ville de Suisse.

Un économiste libéral répondrait que le premier est payé plus cher parce qu’il a davantage de « capital humain », c’est-à-dire de compétences et de connaissances acquises par l’éducation et la formation. Toutefois, seule une infime partie du capital humain additionnel qu’a acquis le chauffeur zurichois pendant ses sept années de scolarité supplémentaires est pertinente pour conduire un autobus. La principale raison pour laquelle le chauffeur suisse est payé cinquante fois plus est le protectionnisme ; et heureusement qu’il existe sinon les chauffeurs de bus suisses seraient payés 100 à 200 francs par mois !1

Le niveau de vie de l’immense majorité des habitants des pays riches dépend fondamentalement de l’existence du contrôle le plus draconien qui s’exerce sur leur marché du travail : le contrôle de l’immigration.

Les économistes libéraux critiquent la législation sur le salaire minimum, les réglementations sur la durée du travail et diverses barrières « artificielles » imposées par les syndicats à l’entrée sur le marché du travail, mais aucun ne préconise de contrôler l’immigration. La droite libérale veut donc le beurre et l’argent du beurre (une libre immigration sans aucune contrainte sur les salaires) ; la droite nationaliste se concentre sur le beurre (seule l’immigration la préoccupe, elle ne défend les salariés que par ricochet). La gauche, quant à elle, se préoccupe de l’argent du beurre, c’est-à-dire de la défense des salarié-e-s et de leurs pouvoirs d’achat.

Ce que les riches des pays pauvres ne comprennent pas, c’est que leurs pays sont pauvres non à cause de leurs pauvres, mais à cause des riches. Car, effectivement, si la productivité des pauvres des pays pauvres soutient la comparaison avec celle des pauvres des pays riches, la productivité des riches des pays pauvres est très nettement plus faible que celle des riches des pays riches2 ! C’est donc la relative faiblesse de la productivité des riches qui appauvrit leurs pays. Et pas seulement des pays pauvres.

Enfin, un petit avertissement à l’intention des riches des pays riches : la productivité des riches dans les pays riches est largement due au système et non à eux-mêmes individuellement. En effet, c’est grâce à l’État, à ses écoles et à toutes les infrastructures qu’il a mises en place pour ses citoyennes et citoyens, que le riche est devenu riche ; sa compétence et ses capacités propres ne représentent qu’une modeste contribution à ses richesses. C’est donc assurément par manque d’humilité que les riches prônent le libéralisme économique. Cela leur permet de s’attribuer une couronne de laurier en plus du pouvoir de l’argent.

Le milliardaire américain Warren Buffet l’a déclaré en 1995 : « Je pense que la société est responsable d’un très gros pourcentage de ce que j’ai gagné. Plantez-moi au beau milieu du Bengladesh, du Pérou ou d’un endroit de ce genre, et vous verrez ce que mes talents vont produire dans le mauvais terreau. J’aurais encore bien du mal à gagner ma vie trente ans plus tard. Je travaille dans un système de marché, et il se trouve qu’il rémunère très bien, voire démesurément, ce que je fais. »

Comprendre que le marché est de nature politique et que la productivité individuelle est de nature collective, est la seule façon de construire une société plus juste, où les héritages historiques et les actions collectives seront convenablement pris en compte pour décider de la rémunération de chacun.

Luc Rochat

1 Les textes en rouge sont mes propos et je les assume.

2 Relisez la phrase, elle en vaut la peine.

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2017-03-02