Cet article de Théo Huguenin-Élie sur les écueils à éviter par un mouvement citoyen est suivi d’une vidéo tournée samedi 15 août au marché de La Chaux-de-Fonds et à la rue du Premier-Mars. Cette vidéo résume en d’autres termes l’article.

Nous ne pouvons que nous féliciter de l’apparition d’un mouvement citoyen tel que LaTchauxverte. Ce type de mouvement a la capacité d’accompagner les institutions, partis politiques, commissions, autorités législatives et exécutives dans leurs réflexions et leur travail. Une telle dynamique a le mérite de toucher des citoyens plus ou moins apolitiques et, en cela, d’élargir le spectre de la démocratie. En outre, lorsque les objectifs et la vision sont partagés – c’est le cas ici ! – il y a de quoi se réjouir : de toute évidence un tel mouvement citoyen présente le potentiel susceptible de faire avancer la cause. Au-delà de ce constat positif, il est cependant nécessaire de noter qu’un certain  nombre  de dangers guettent un tel mouvement pour que « citoyen » ne s’accorde en aucune manière avec quelque forme de populisme que ce soit.

Premier écueil : des citoyens plus légitimes que d’autres

Le premier écueil serait de croire qu’un mouvement ne réunissant pas d’élus aurait plus de légitimité que les organes institutionnels composés d’élus. En d’autres termes, nous sommes convaincus qu’il serait faux d’opposer les citoyens aux citoyens : un élu n’est pas moins citoyen qu’un quidam, il n’est pas moins  « guidé par le bon sens de la proximité » (cf. interview de membres de La Tchauxverte dans Arcinfo du 3.8.2020). L’élu est un citoyen comme les autres qui s’engage et se trouve, à l’occasion d’élections, être désigné par un groupe de citoyens pour les représenter. De facto, il est absurde de penser qu’un citoyen lambda représenterait mieux la cité ou le « terrain » qu’un citoyen élu. Cela impliquerait que, par nature, un citoyen élu perdrait tout lien avec la réalité et la population dès que celle-ci lui conférerait un mandat. Soutenir une telle thèse induirait un discrédit rédhibitoire jeté sur la démocratie elle-même. Dans le cas de LaTchauxverte – qui est d’ailleurs également composée de citoyens politisés – le pas n’a pas exactement été franchi, mais il apparaît que la tentation est forte.

Deuxième écueil : la tentation d’éviter le dialogue

Le deuxième écueil – corollaire du premier – tient à la forme. Les mouvements citoyens tendent facilement à suspecter les autorités et les services de l’administration publique de ne pas être suffisamment ouverts à la consultation, à la prise en considération des avis exprimés par les uns et les autres, en estimant notamment que les commissions consultatives, constituées de représentants de groupes d’intérêts (ATE, Provelo, TCS, CID, CNCI…), et les commissions du Conseil général, constituées de représentants de tous les partis politiques, ne peuvent exprimer des avis suffisamment pertinents. De surcroît, a contrario de l’esprit collaboratif prôné, les mouvements citoyens tendent à préférer les manifestations, les pétitions, les interventions intempestives dans les médias ou sur les réseaux sociaux au dialogue constructif passant par des contacts réguliers avec les services ou les autorités. Force est de constater que si LaTchauxverte adopte un ton globalement assez courtois, elle n’évite pas cet écueil.

Troisième écueil : l’opposition plutôt que la construction ou le « NON » plutôt que le « OUI »

Le troisième écueil est le corollaire des deux précédents puisqu’il consiste à s’opposer systématiquement plutôt qu’à chercher des solutions en partenariat ou à défendre de véritables projets concrets. Il est effectivement tentant pour les mouvements citoyens de se cantonner aux discrédits jetés sur des autorités et des services communaux qui, aveugles et autoritaires, feraient mal ou faux, plutôt que de chercher avec eux les chemins de convergence et d’amélioration des projets (notez le paradoxe pour ceux qui réclament plus de consultation !). En d’autres termes, il est plus facile de s’indigner que de saluer le travail accompli ou de chercher sereinement à l’orienter. Il est à noter que jusqu’ici LaTchauxverte n’a pas évité non plus cet écueil. En effet, deux thématiques dominent son action d’opposition : la première très particulière concerne le marché, la seconde plus générale concerne les espaces publics.

Le cas du marché

En ce qui concerne le marché, LaTchauxverte est intervenue dernièrement pour s’opposer au souhait des services communaux et du Conseil communal d’appliquer le règlement portant sur la présence des camions des maraîchers les jours de marché. Si la réaction, sans doute un peu vive et virulente dans la forme, était compréhensible sur le fond, elle omettait de prendre en considération la complexité du moment : l’extension des terrasses et du marché afin de respecter les mesures de distanciation générées par les normes sanitaires édictées par la Confédération pour cause de COVID. De surcroît et a contrario, on peut légitimement s’étonner de l’absence de réaction positive de LaTchauxverte à l’ouverture de neuf emplacements pour les maraîchers durant la période de semi-confinement, ouverture qui fut une première en Suisse et qui fut ensuite le modèle de nombre de collectivités romandes. On peut également s’étonner de l’absence de réaction à la réouverture quasi immédiate du marché, dès que la Confédération l’eut autorisé, dans un dispositif respectant les prescriptions sanitaires. Idem en ce qui concerne la solution trouvée in fine en bonne entente avec les maraîchers. Un soutien aux autorités et aux services aurait été assez élégant de la part de ceux qui considèrent être les champions du marché.

Le cas des espaces publics

Le phénomène est hélas le même en ce qui concerne les espaces publics. Si LaTchauxverte défend « beaucoup plus de verdure, beaucoup de jardins potagers, beaucoup plus de pistes cyclables » et souhaite « revoir des enfants jouer dans les rues » (Arcinfo du 3.8.2020), il se trouve que les autorités dans leur majorité défendent globalement la même vision… et la mettent en œuvre en suivant le rythme des capacités financières et des ressources humaines de la Ville. Aussi, il faut s’étonner du silence de LaTchauxverte sur les dossiers allant pourtant exactement dans ce sens ; citons, en vrac, pour ces deux dernières années :

  • la piétonisation du Passage du Centre,
  • la requalification de la rue de l’Avenir,
  • la piétonisation de la rue du Cygne,
  • la requalification de la rue du Midi (en cours),
  • la rénovation de la rue des Sagnes,
  • le projet de requalification de la rue du Dr-Coullery,
  • la requalification du parvis du Bois du Petit-Château avec suppression des places de parc,
  • la fermeture estivale au stationnement de la Place du Marché avec la volonté de la rendre piétonne à court terme,
  • la piétonisation annoncée dans le cadre du futur « contournement Est » de la ville des rues Neuve, de la Balance, du Versoix et du Collège ouest,
  • la mise en œuvre d’une politique de stationnement permettant de diminuer la présence de la voiture en zone urbaine,
  • la mise en « zones 30 » d’ores et déjà de nombreux quartiers (Entrepôts, Jacob-Brandt, 22‑Cantons, Arbres, Progrès…) et à terme de tous les quartiers de la ville délimités par des rues collectrices,
  • la création de nombreuses bandes cyclables et de sas à vélos,
  • le combat déterminé du Conseil communal pour une future flotte de transport public urbain électrifiée,

Éviter les écueils populistes

Il semble tout de même que ces quelques dossiers mériteraient au moins une réaction de LaTchauxverte. Sans doute, la reconnaissance de ces avancées ne permettrait-elle pas de résoudre certains désaccords, mais elle aurait le mérite de l’honnêteté et d’éviter les écueils populistes évoqués ci-dessus. La bonne tenue et la sérénité du débat démocratique et citoyen pour une « Tchaux plus verte » le vaut bien !

Théo Huguenin-Élie

 

2020-08-16