Les partisans de la réforme de l’imposition des entreprises promettent à la fois emplois sauvegardés et créés ainsi que prospérité pour le pays. Ils se gardent d’entrer dans le détail des mesures proposées – dont les intitulés restent abscons pour le profane –, trop techniques et peu adaptées à une campagne référendaire. Il vaut d’autant plus la peine d’y regarder de plus près avant le vote du 12 février 2017.
Car, au-delà des slogans, la logique qui préside à ces mesures dévoile les véritables bénéficiaires de cette réforme.
Quand la fiction permet d’occulter la réalité
Ainsi de la déduction des intérêts notionnels. Il s’agit d’intérêts théoriques, fictifs, sur la part du capital qui n’est pas nécessaire à l’activité de l’entreprise. Ces intérêts pourront être déduits du bénéfice, ce qui permettra de réduire l’impôt dû par l’entreprise. La justification de cette déduction d’une somme qui n’a jamais été payée? L’égalité de traitement. Une société qui emprunte a le droit de déduire de son bénéfice les intérêts payés pour cet emprunt. Il serait donc équitable de permettre à une entreprise qui ne vit que sur ses fonds propres de faire de même. A considérer le résultat de l’opération pour chacun des deux types d’entreprises, on peine à voir où réside l’équité.
Pour comprendre les avantages de cette mesure, il faut savoir qu’en comparaison internationale les entreprises helvétiques sont en moyenne surcapitalisées. Elles attribuent une part importante de leur bénéfice à l’augmentation de leur capital. Les actionnaires engrangent ainsi une plus-value qui, selon le droit fiscal en vigueur, n’est pas imposée, contrairement aux dividendes. Mais cette pratique aboutit tendanciellement à une baisse de la rentabilité du capital (rapport bénéfice/capital). En améliorant le bénéfice disponible, la déduction des intérêts notionnels contrecarre cette tendance et accroît la valeur boursière de l’entreprise.
La déduction des intérêts notionnels facilite également l’évasion fiscale. Ainsi une maison mère helvétique, pour minimiser sa charge fiscale, transfère vers la Suisse, de préférence vers des cantons à faible taux d’imposition, les bénéfices de ses filiales établies dans des pays à fiscalité élevée. Pour ce faire, elle octroie à ses filiales des prêts à des taux d’intérêt élevés. Le bénéfice de ses filiales baisse et l’imposition de ces dernières également. Celui de la maison mère augmente, mais la déduction des intérêts notionnels conduit à une imposition modérée.
Favoriser l’innovation… surtout fiscale
Le scénario n’est guère différent avec la patent box. Cette mesure vise à favoriser les activités de recherche (Message du Conseil fédéral p. 4641). Les revenus résultant de droits incorporels – licences et brevets notamment – sont réunis dans une patent box et soumis à un taux d’imposition privilégié. Global+, le magazine d’alliancesud, la faîtière des organisations suisses d’aide au développement, présente le montage fiscal permettant une telle mesure. Pour réduire les bénéfices de sa filiale établie dans un pays à fiscalité normale mais trop gourmande à son goût, l’entreprise mère lui facture des droits de licence élevés. Elle réunit dans une patent box les bénéfices ainsi réalisés qui seront imposés dans son pays de résidence à taux réduit.
Ces deux mesures, conçues pour préserver l’attractivité fiscale de la Suisse, se substituent au traitement de faveur appliqué jusqu’à présent aux bénéfices réalisés à l’étranger par des sociétés établies dans notre pays. Dans le débat sur RIE III, on parle beaucoup de sauvegarde des emplois et de l’impact de la réforme sur les finances publiques helvétiques. N’oublions pas l’impact de ces mesures sur les finances publiques des pays en développement. Des mesures qui participent à l’hémorragie des ressources financières des pays du Sud, lesquels perdent un multiple de ce que les pays riches consentent à leur verser sous forme d’aide.
Jean-Daniel Delley
Article original sur le site de Domaine Public : RIE III: lucratifs intérêts notionnels, astucieuse «patent box»