Les samedi 4 et dimanche 5 mai 1918, les villes de La Chaux-de-Fonds et du Locle se donnaient une majorité socialiste au Conseil général. Le résultat était le même dans les deux localités : 22 socialistes, 13 radicaux et 6 libéraux. Les partis bourgeois avaient usé de tous les moyens pour tenter d'éviter ce renversement de majorité. Ils avaient été jusqu'à priver de leur droit de vote près de deux mille citoyens de La Chaux-de-Fonds, qui étaient en retard dans le paiement de leurs impôts. Il est bon, nous semble-t-il, de publier, cent années après, le bulletin de victoire d'E.-P. Graber dans la « Sentinelle » du lundi 6 mai 1918.

Victoires socialistes, malgré les calomnies, malgré un régime électoral digne de la Prusse

Le Locle, La Chaux-de-Fonds, communes socialistes !

Tel est le cri éclatant sorti de milliers de bouches ouvrières hier soir, aux Montagnes. Deux victoires calmes, sans fièvre, deux victoires basées sur des convictions mises à l'épreuve par une rafale de littérature nauséabonde, faite de la plus basse calomnie, des plus effrontés mensonges. Et c'est cela qui leur donne une signification particulière. On a exploité d'une façon éhontée, chez les bourgeois, la francophonie ; on a parlé de marks allemands ; on a parlé de bolcheviks, de maximalistes, on a prédit la fin du monde si les socialistes triomphaient. Les convictions de la classe ouvrière ont résisté à tout cela. C'en est fini du bourrage de crânes !

Les bourgeois restent avec leur courte honte, ramassant leur défaite au milieu des débris de leur cuisine électorale repoussante. Nous avons entendu un conseiller libérai, M. Jean Humbert, reconnaître que le « Libéral montagnard » avait eu une attitude indigne, tandis que la « Sentinelle » était restée digne jusqu'au bout.

Et cela aussi nous est une énorme satisfaction. Nous avions réussi à supprimer les bulletins du samedi après midi et à réagir contre les personnalités.

Nous sommes allés plus loin, cette fois-ci, et les lecteurs de notre journal ont pu constater avec plaisir que nous sommes restés calmes sous le flot de boue déversé par le « National suisse » et le « Libéral montagnard » sans nous laisser entraîner dans des polémiques passionnées.

Et sur la rue, et pendant les manifestations, et hier soir au Cercle ouvrier, bondé jusqu'au moindre recoin, ce fut cette même dignité, cette même confiance sereine qui nous rend plus fier que jamais de travailler avec la classe ouvrière.

Et dire que nous avons cependant craint un moment, samedi, quand nous avons appris une chose renversante :

1907 électeurs étaient privés de leur droit de vote pour retard dans leurs impôts. Mille de plus qu'en 1915. Nos camarades avaient demandé à plusieurs reprises, au cours de l'année, au Conseil communal, à quoi en étaient les impôts arriérés. M. Vaucher répondait invariablement : « Ça diminue. »

Ce fut donc une stupeur générale en apprenant que 19 % des électeurs de notre ville n'avaient pas le droit de vote. Ajoutez un bon nombre d'étrangers ayant refusé d'aller se faire casser la figure pour Clémenceau et le roi de Prusse et qui furent privés de leur droit de vote - même s'ils étaient nés en notre ville - parce que simplement tolérés.

Ajoutez-y un extraordinaire désordre dans les registres civiques, des jeunes n'ayant pas reçu leur carte civique, devant faire deux, trois démarches avant d'obtenir satisfaction, et vous en arriverez à cette conclusion, c'est que 20 ou 21 % - même plus - des électeurs ont eu leur droit de vote saboté.

Il faut faire une mention spéciale des mobilisés. Parmi ces mille neuf cents, il y a des centaines d'hommes qui ont été mobilisés, 400, 500 ou 600 jours depuis 1914. Ils ont subi toutes les rigueurs des services prolongés par la pluie, par la neige, dans la boue, laissant leurs familles dans la détresse, faisant des dettes, incapables dès lors de payer leurs impôts. Et ces centaines d'hommes qui avaient servi le pays, hier, n'avaient pas le droit de voter, tandis que des exploiteurs, des spéculateurs, des fraudeurs du fisc, des nouveaux riches, qui restèrent toujours tranquillement chez nous, venaient fièrement voter la liste radicale ou libérale.

Rien ne démontre mieux que cela la profonde déchéance de l'esprit républicain dans les esprits bourgeois. Contre le socialisme, tous les moyens sont bons. Ils se jetteraient dans les bras du kaiser si celui-ci pouvait les délivrer du spectre du socialisme triomphant.

On comprend maintenant combien l'élection d'hier se présentait mal pour nous, et cependant ce fut la victoire.

« Nous vous attendons à la commune ! » disait avec ses airs de fanfaron le « National suisse » après l'élection du Conseil national.

Il faut en féliciter la classe ouvrière et la féliciter hautement.

Certes, on peut se demander comment des ouvriers peuvent encore voter pour les renchérisseurs du lait, pour les patrons, pour les capitalistes, pour ceux qui sabotent le pain de l'ouvrier en même temps que nos libertés et nos droits.

Que leur faudrait-il donc, à ces aveugles, pour que s'ouvrent leurs yeux ?

Il est vrai que cela progresse. Nous nous souvenons des élections où nous faisions péniblement un peu plus de 1'200 voix !

Que cela soit un réconfort aux jeunes et à tous et puisse la classe ouvrière de La Chaux-de-Fonds se serrer toujours plus calme, digne, confiante et forte autour du drapeau rouge, symbole de la justice et de la liberté !

E.-P. Graber

(article paru le 6 mai 1918 dans « La Sentinelle » et reparu le 11 mai 1968 sous le titre « Il y a cinquante ans, les communes de La Chaux-de-Fonds et du Locle se donnaient une majorité socialiste »)

2018-05-10