Ainsi s’appelle le journal fondé au mois de janvier 1890 par l’Union des sociétés ouvrières de La Chaux-de-Fonds. Rédigée par Walter BIOLLEY (1866-1905), la nouvelle publication paraît chaque jour sur quatre pages, avant d’interrompre sa parution au mois de novembre. Elle ressuscite en janvier 1891, disparaît à nouveau, reparaît en 1892 d’abord deux fois, puis trois fois par semaine. En 1895, La Sentinelle est l’organe du Parti ouvrier suisse, avant de devenir celui du Parti socialiste neuchâtelois, fondé le 13 septembre 1896 à La Chaux-de-Fonds. En juillet 1906, après moult péripéties, les Neuchâtelois fusionnent leur journal avec Le Peuple de Genève, le Courrier jurassien, la Lutte sociale et L’Aurore qui, ainsi regroupés, deviennent Le Peuple suisse. Mais trois ans plus tard La Sentinelle retrouve son autonomie et reprend une parution hebdomadaire. Les socialistes ont alors le vent en poupe. En automne 1911, Charles NAINE (1874-1926), qui dirige le journal depuis décembre 1902, est élu au Conseil national. En mai de l’année suivante, c’est au tour d’E.-Paul GRABER (1875-1956) d’accéder à la Chambre du peuple. 1912 sera une année faste pour la gauche des Montagnes neuchâteloises puisque, à la faveur de la représentation proportionnelle, les socialistes conquièrent la majorité au Locle en mai et à La Chaux-de-Fonds en juillet. Et le 18 décembre, La Sentinelle devient quotidien. Sous le titre En avant ! Charles NAINE peut affirmer avec fierté :
« Les progrès accomplis ces dernières années au point de vue social par les ouvriers du Jura, les placent devant une tâche nouvelle. Il faut qu’ils possèdent un journal quotidien. C’est pour eux une nécessité afin de consolider les positions acquises et afin d’en conquérir de nouvelles. »
Depuis cette date, La Senti, comme on l’appelle familièrement, connaît des fortunes diverses, constamment à la recherche de fonds pour survivre mais se battant sans relâche pour défendre les travailleurs et toutes les victimes de l’injustice sociale. Face à la montée des idéologies totalitaires, elle est au premier rang des défenseurs de la démocratie et durant la Seconde Guerre mondiale, justifiant pleinement son nom, ce sera souvent le seul journal, dans la presse romande, qui a le courage de dénoncer, malgré la censure, les crimes perpétrés par les Allemands et leurs séides dans les pays occupés.
Dans les années soixante, les difficultés financières du quotidien sont récurrentes. Quelques mois après son adhésion au Parti socialiste, en 1963, René MEYLAN (1929-2000), ancien leader de la Nouvelle Gauche et futur conseiller d’Etat (1970-1981), devient directeur de La Sentinelle. Il conduit jusqu’à son terme la fusion avec Le Peuple, quotidien des socialistes vaudois et genevois, également imprimé à La Chaux-de-Fonds et dont le contenu rédactionnel était déjà en grande partie commun aux deux journaux. Le premier numéro du titre Le Peuple La Sentinelle sort de presse le 1er octobre 1965
Malheureusement, malgré un répit de quelques années, cela ne suffit pas à sauver le seul quotidien socialiste de Suisse romande. Le dernier numéro porte la date du 19 mai 1971. Il retrace sur plusieurs pages une histoire glorieuse. Dans un ultime éditorial, Michel Henri KREBS écrit :
« …notre journal, votre journal, était né dans la misère, il avait vécu pauvre ; vous lui pardonnerez de s’en aller dans la même atmosphère d’économie forcée. Quand on a tiré le diable par la queue toute sa vie, on ne fait pas d’excès somptuaire pour un catafalque, un linceul brodé et un cercueil de chêne. C’est un dernier voyage en rude sapin de notre Jura : quelques mots, un bref regard sur le passé, deux ou trois images resurgies, et au revoir. »
La collection entière du journal peut être consultée à la Bibliothèque de la Ville. Deux recueils d’articles parus dans La Sentinelle ont été publiés :
E.-Paul GRABER, Charles Naine journaliste. Sa pensée socialiste, 2 volumes, 1928.
René MEYLAN, Sentinelle toujours vivante, Parti socialiste neuchâtelois, 1974.