« La liberté vaut en effet si elle est l’apanage d’un citoyen soucieux de bâtir une cité meilleure, et non pas seulement le privilège d’un individu soucieux de sa jouissance personnelle », François Sureau

Il y avait la liberté poétique et généreuse de Paul Éluard. La perle rare de Georges Moustaki et la révolutionnaire de Delacroix. Et puis, il y a celle qui a guidé le peuple sur les pavés de la place fédérale ces derniers mois, dont les cloches n’ont rien annoncé de plus que le réveil de la marmotte, ou la désagréable impression de devoir revivre continuellement les mêmes événements. La démocratie fait de la résistance, et d’une certaine manière, tant mieux. Reconnaissons-le d’ailleurs, nous pourrions presque nous laisser tenter : Adieu certificat, application et désormais sempiternelle inspection à l’entrée des bars, des musées, des cinémas, et des théâtres. Mais aussi…Adieu extension des aides financières à ces mêmes lieux, culturels ou sportifs, adieu indemnisations pour les manifestations d’ampleur nationale, et...adieu voyages. Est-ce cela, la liberté ? En réalité, à vouloir être totalement libres nous courrons le risque de n’être plus libres nul part. Soit parce que nous y serons contraints par nos voisins, soit par une trop grande insouciance confinant à l’inconscience.

Je ne tiens pas à consacrer ces lignes à la lettre et à l’esprit de la loi sur laquelle nous serons appelés à nous prononcer dans un peu moins d’un mois. D’aucuns en appellent à la responsabilité. Je ne sais pas de quoi nous sommes responsables. Je devine toutefois ce à quoi nous conduirait notre irresponsabilité.

Au-delà des considérations techniques, qui ne m’intéressent que très peu, qu’en est-il de la liberté ? C’est à elle que je souhaite m’adresser, car je n’ai pas souvenir qu’elle ait été aussi chérie dans notre pays, si invoquée, mais également si galvaudée. Celles et ceux qui s’en réclament et s’en autoproclament aujourd’hui, et qui guettent son retour comme si elle s’en revenait de Troie, oublient une chose : sauf à considérer avec prudence quelques exceptions, les libertés individuelles ne sont jamais absolues, même dans les plus parfaites des démocraties. Ne serait-ce que parce que nous sommes des animaux faisant société, la démocratie de l’absolue liberté, c’est la démocratie de Robinson Crusoé.

S’arrêter à un feu rouge, allumer ceux de sa voiture la nuit, payer ses impôts et j’en passe, sont autant d’injonctions qui, quotidiennement ou occasionnellement, contreviennent à nos libertés de circuler, de s’enrichir, etc. Pourtant, acrobates du pot d’échappement et professionnels de l’évasion fiscale mis à part, nous acceptons ces contraintes… Si et seulement si elles nous semblent légitimes. La notion de légitimité apparaissant alors comme la condition sine qua non du compromis entre nos libertés et le bien d’autrui ou de la collectivité, reste à interroger le bien-fondé de la loi qui nous est proposée. À l’aune de cette année passée en compagnie forcée d’un virus à grande portée, d’un risque réel pour les services de santé et de l’infime mais perceptible lumière que l’on voit briller au bout du tunnel, la liberté rime aujourd’hui avec la solidarité. La dualité réelle ou supposée entre les libertés individuelles et les libertés collectives demeure complexe, mais il me semble que ce n’est pas la résoudre que de s’opposer aujourd’hui à des mesures qui, au bout du compte, permettront de rester fidèles aux unes et aux autres.

Enfin, comment ne pas terminer ces pensées sans évoquer d’un mot la politique. Il y a parmi les oppositions à cette loi, des craintes parfaitement fondées. Celles de citoyennes et de citoyens inquiets pour leurs libertés, et je souhaite que ce qui précède ait pu modestement y répondre. Mais il y a aussi une frange politique qui ne craint pas d’afficher une défense des libertés à géométrie variable. Une grande partie de celles et ceux qui s’érigent aujourd’hui comme les chantres de la liberté et les lanceurs d’alertes d’une société de la surveillance qu’ils semblent soudainement découvrir, oublient qu’ils sont ceux qui ont voté ou tout du moins soutenus des mesures également voire hautement plus contestables :  la loi sur le renseignement en 2016,  la base légale sur la surveillance des assurés en 2018 ou encore cette année la loi sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme qui porte gravement atteinte aux libertés de militer. Heureusement, à défaut d’avoir de la mémoire, certains savent compter, en témoignent les quelques frondeurs qui se sont résolus à soutenir la loi en évoquant les importants moyens financiers.

« Sans la liberté de blâmer il n’y a point d’éloge flatteur, et il n’y a que les petits hommes qui craignent les petits écrits », nous rappelle Beaumarchais. La liberté de blâmer est absolue dans notre pays, et le simple fait de pouvoir organiser ce référendum le démontre. Le texte qui nous est présenté n’est pas un monument législatif, et encore moins littéraire. Il en existe pourtant de semblables, dans de semblables pays, qui ont permis de faire la différence : la différence entre un pays libre, et un pays qui a oublié qu’il l’était déjà. Et que les concessions d’aujourd’hui éclairent les promesses de l’aube, qui verra s’élever un jour où tout cela ne sera plus qu’un terrible et douloureux souvenir.

Hugo Clémence
Député au Grand Conseil neuchâtelois

2021-10-30