Les libéraux prétendent : « Lorsqu’une entreprise est gérée dans l’intérêt des actionnaires, ses profits sont maximisés, ce qui maximise également sa contribution à la société. »

C’est faux !

La « valeur pour l’actionnaire » est probablement « l’idée la plus bête du monde ». Jack Welch, homme d'affaires américain.

Les actionnaires sont peut-être les propriétaires, mais puisqu’ils sont les plus mobiles des « parties prenantes », ils sont souvent les moins soucieux de l’avenir à long terme de l’entreprise.

Les entreprises sont souvent des « entreprises à responsabilité limitée » ce qui a pour conséquence que, si l’entreprise fait faillite, ses investisseurs ne perdront que ce qu’ils y auront investi (leurs « parts »).1 Les pays d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord ont généralisé la responsabilité limitée - pour la plupart dans les années 1860 et 1870. À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, la responsabilité limitée a énormément accéléré l’accumulation du capital et le progrès technologique.

Toutefois, dans les premiers temps de la responsabilité limitée, nombre de grandes sociétés étaient gérées par des entrepreneurs charismatiques qui possédaient une part importante du capital. Puisqu'une large part de la société leur appartenait, ils se seraient fait du tort à eux-mêmes en prenant une décision par trop risquée ; mais au fil du temps, une nouvelle classe de managers professionnels est venue remplacer ces entrepreneurs charismatiques.

C’est ainsi que des directeurs professionnels sont devenus les principaux décideurs, et par conséquent les actionnaires quant à eux sont devenus toujours plus passifs, dans l’orientation de la gestion des entreprises.

À partir des années 1930, on s’est mis à évoquer de plus en plus la naissance d'un capitalisme managérial, où les capitalistes - au sens traditionnel - avaient cédé la place à des bureaucrates de carrière. Joseph Schumpeter2 a soutenu dans les années 1940 que cette évolution rendrait le capitalisme moins dynamique mais qu’elle était incontournable.

Dans les années 1950, John Kenneth Galbraith3 jugeait que le seul moyen de « faire contrepoids » à ces entreprises consistait à renforcer la réglementation publique et le pouvoir des syndicats. Dans les années 1980, on a trouvé le « Saint-Graal » et on l’a baptisé « principe de la maximisation de la valeur pour l’actionnaire » : la rémunération des managers doit dépendre de l’importance des sommes qu’ils parviennent à distribuer aux actionnaires. Maximiser la valeur actionnariale, c’est d’abord maximiser les profits en réduisant impitoyablement les coûts - masse salariale, investissements, stocks, cadres intermédiaires, etc. puis remettre aux actionnaires la part la plus large possible de ces profits.

Jack Welch4, qui fut longtemps président de General Electric est reconnu pour être le père de l’expression « valeur actionnariale » ou « valeur pour l'actionnaire » qu’il a lancée dans un discours en 1981. Au début, ce système semblait fonctionner à merveille.

La part des profits des actionnaires a brusquement augmenté au milieu des années 1980 et n’a cessé depuis d’être à la hausse. Cette Sainte-Alliance, pas si sainte que cela, entre dirigeants et actionnaires a été entièrement financée en pressurant les autres parties prenantes de l’entreprise : l’emploi a été implacablement réduit, de nombreux travailleurs ont été licenciés, puis réembauchés en tant que personnel non syndiqué, à des salaires inférieurs et avec des avantages sociaux réduits ! Les fournisseurs et leur personnel aussi ont été pressurés par la baisse continue des prix d'achat aux sous-traitants, et l’État mis en demeure de réduire les taux d’imposition des entreprises5, faute de quoi elles se relocaliseraient dans des pays où l’impôt sur les sociétés est plus léger et/ou les subventions aux entreprises plus généreuses.

L’immense majorité des populations américaines et britannique n’a pu prendre part à l’(apparente) prospérité qu’en empruntant à des taux sans précédent. Cette augmentation croissante de la part des profits ne s’est pas traduite par une hausse des investissements, au contraire : aux États-Unis la part des investissements a diminué de 20,5 % (années 1980) à 18,7 % (de 1990 à 2009). Le taux de croissance du revenu par habitant aux États-Unis a chuté, d’environ 2,6 % par an dans les années 1960-1970 à 1,6 % dans la période 1990-2009. En Grande-Bretagne, la croissance du revenu par habitant est passé de 2,4 % à 1,7 % dans le même laps de temps.

Le pire, dans la maximisation de la valeur pour l’actionnaire, c’est qu’elle n’est même pas bonne pour l’entreprise. Car, quel est pour une entreprise le moyen le plus facile de maximiser ses profits ? Réduire ses dépenses ! Car augmenter ses revenus, c'est plus compliqué !

L’entreprise va donc sabrer dans ses dépenses de personnel en licenciant et dans ses dépenses d’équipement en investissant moins.

Mais dégager des profits plus élevés n’est que la première étape de la maximisation de la valeur pour l’actionnaire. Il faut ensuite remettre aux actionnaires la part maximale de ces profits, en augmentant les dividendes. Ou alors, l’entreprise va utiliser une partie de ses profits pour racheter ses propres actions : elle maintient ainsi le cours orienté à la hausse, ce qui revient à redistribuer indirectement encore plus de profits aux actionnaires !

Jusqu’au début des années 1980, les achats d’actions ont représenté moins de 5 % des profits des sociétés américaines, mais depuis ils n’ont cessé d’augmenter, jusqu’à atteindre le pourcentage fantastique de 90 % en 2007 et celui parfaitement absurde de 280 % en 2008 !

Maximiser la valeur pour l’actionnaire est mauvais pour l’entreprise, comme pour le reste de l’économie.

Comme l’a récemment avoué Jack Welch (cité plus haut), la « valeur pour l’actionnaire » est probablement « l’idée la plus bête du monde ».

Les textes en rouge sont des apports personnels et je les assume.

1 Les actionnaires ne sont tenus que des prestations statutaires et ne répondent pas personnellement des dettes sociales. (art. 6202 du code des obligations)

2 Économiste américain d’origine autrichienne (1883-1950)

3 Économiste américano-canadien (1908-2006) conseiller économique des présidents américains de Roosevelt à Lyndon Johnson.

4 Homme d’affaires américain, président du groupe General Electric de 1981 à 2001et l’un des dirigeants les plus emblématiques aux États-Unis durant la période 1980-2000 (source Wikipedia).

5 RIE III, vous connaissez ?

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2017-02-23